Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/589

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il se dépopularise aux yeux du parti radical et propagandiste, et que tout ce qu’il pourrait gagner d’un côté, il le perdra de l’autre.

Toutefois, comme nous ne pouvons qu’être flattés de la peine que se donne le ministre anglais pour prouver qu’il a toujours été de l’avis du gouvernement français, nous nous faisons un devoir d’aider à sa justification. Il est certain que, s’il fallait faire abstraction de sa conduite et ne s’en rapporter qu’à ses paroles et à ses dépêches, nul n’aurait plus que lui défendu le maintien des traités de 1815 et le principe fondamental du pacte, c’est-à-dire la souveraineté cantonale. Nous ne parlons plus de 1832, mais de 1847. Or, au mois de septembre dernier, quand lord Minto partait pour l’Italie avec mission de passer par la Suisse, lord Palmerston, parlant du projet d’une république unitaire, disait : « Le gouvernement de S. M. est convaincu qu’une pareille extinction de droits anciens et héréditaires et un pareil asservissement de l’indépendance cantonale à un pouvoir central ne pourraient être opérés que par l’oppression de la force… Le gouvernement de S. M., comme partie contractante du traité de Vienne, rappelle au gouvernement suisse, dans le cas où un tel projet serait envisagé, que le principe fondamental sur lequel reposent les arrangemens du traité de Vienne à l’égard de la Suisse est la souveraineté séparée des divers cantons. »Voilà déjà la question bien posée ; elle l’est mieux encore dans les instructions de sir Stratford Canning. Lord Palmerston y disait : « Vous rappelleriez expressément aux principaux chefs du parti de la diète que le pacte fédéral est un contrat d’alliance entre un certain nombre d’états souverains, et que ce contrat, étant de la nature d’un traité, ne peut pas être légitimement altéré sans le consentement de toutes les parties contractantes. » Ailleurs encore, il dit : « Vous leur recommanderez par-dessus tout de respecter implicitement le principe de la souveraineté séparée des cantons, principe qui forme la base, non-seulement du pacte fédéral, mais des engagemens contractés envers la Suisse par les puissances de l’Europe, et qui ne pourrait être violé par les Suisses sans mener à des conséquences capables de porter une profonde et durable atteinte aux meilleurs intérêts du pays. » Enfin, jusqu’au 30 décembre, alors que M. le duc de Broglie avait quitté Londres, lord Palmerston, dans une note à M. de Jarnac, répétait qu’il était entièrement d’accord avec le gouvernement français sur le principe de la souveraineté cantonale.

Nous n’avons fait aucune difficulté de multiplier les citations pour aider lord Palmerston à établir son innocence. Il est incontestable que, si on faisait l’histoire uniquement sur ses dépêches, on ne pourrait s’empêcher d’avouer que sa conduite a été grandement méconnue. Le noble lord n’a donc pas changé d’avis, nous l’accordons ; mais alors nous ferons une simple question : s’il était tellement d’accord avec les autres puissances, pourquoi n’a-t-il pas agi franchement, avec elles et en même temps qu’elles ? Pourquoi, se disant prêt à maintenir, comme elles les traités qui avaient constitué la Suisse et le principe fondamental posé par ces traités, pourquoi a-t-il cherché par tous les subterfuges et toutes les chicanes possibles à arrêter et à entraver les mesures qu’elles voulaient prendre pour faire respecter le droit ? Nous avons une certaine répugnance à accuser formellement lord Palmerston de duplicité ; mais enfin, après avoir lu ses dépêches, sa conduite ne nous paraît guère susceptible d’une autre interprétation. S’il pense encore ce qu’il pensait en 1832, pourquoi a-t-il, par ses délais calculés, fait avorter une médiation qui aurait sauvé ces principes et ces droits qu’il vou-