dans son obscurité et sa mansarde ? s’en tiendra-t-il à cette condition modeste qui a détourné de lui tous les regards, à la pratique de cette humble vertu dont nul ne lui a su gré ? Non ; Desgaudets est observateur, il a étudié les hommes, et il devine tout le parti qu’il peut tirer de ses prétendus millions, même en ne changeant rien à son train de vie, et en laissant croire à tous que la richesse l’a rendu avare. L’événement justifie ses prévisions ; cette avarice de millionnaire devient pour lui un titre ; on le salue, on l’honore, on l’entoure, on se dispute sa personne qui se laisse faire, et ses capitaux chimériques qu’il n’a garde de risquer. Tant qu’il n’avait qu’une vertu, personne ne songeait à lui : il s’est doté d’un vice, et le voilà un personnage ! M. Scribe a exploité cette idée avec un art infini. La scène où le spirituel et ironique vieillard raconte ces événemens à sa fille, et se révèle sous son véritable jour, suffirait seule au succès de la pièce. Le style même s’élève à mesure que le récit se déroule, et l’on se sent en pleine comédie. Il est facile de comprendre et d’indiquer pourquoi ce caractère est si net, si homogène, si supérieur à Corinne et à Marignan. C’est qu’en créant César Desgaudets, M. Scribe a eu à mettre en scène un puff exceptionnel, une idée vraisemblable, mais dont le modèle n’existait pas au dehors, dont le type n’était formé que par l’ensemble de ses observations sur le cœur humain. Dans Corinne et dans Marignan, au contraire, il a eu à se débattre contre des réalités qu’il ne voulait ni copier ni travestir, à se préserver des allusions, à biaiser avec les malices, à lutter contre la concurrence de ces mille plaisanteries écloses, chaque matin, en feuilleton, en vaudeville, en caricatures, en réclames, en affiches, en puffs de toute espèce, qui forment une sorte de comédie courante, menue monnaie plus portative et plus populaire que la comédie proprement dite. En esquissant Corinne et Marignan, M. Scribe n’a pas constamment su s’il devait calquer, inventer, accentuer ou effacer les physionomies. En créant César Desgaudets, il n’a eu besoin que d’être lui-même et de suivre sa propre pensée.
Avons-nous besoin d’ajouter qu’avec ces divers élémens, M. Scribe a composé une comédie, sinon complète, au moins fine, agréable, piquante ? Avons-nous besoin de dire que le tissu, parfois un peu frêle, en est relevé par de délicates et charmantes broderies, que le fil léger de l’intrigue se renoue habilement au moment même où il semble menacer de se rompre, entre autres dans cette scène où Marignan, réellement mystifié parce qu’il croit déjouer une mystification imaginaire et dupe de son faux héroïsme qu’il croit étaler gratis, se livre à ce que Desgaudets appelle si plaisamment le puff par devant notaire ? Il y a long-temps que, sous tous ces rapports, M. Scribe a fait ses preuves : par la grace des détails, le pétillement des jolis mots, l’art de tourner les difficultés et de faire courir d’acte en acte un intérêt suffisant pour animer toute une soirée, ce nouvel ouvrage n’est point au-dessous du Verre d’eau, de la Camaraderie et de Bertrand et Raton. En outre, il est joué avec un ensemble excellent par tous les acteurs, et par quelques-uns avec une rare distinction ; aussi le succès est brillant et légitime. Après avoir gagné sa cause auprès de ce public ales premières représentations, juge un peu compromis cette fois dans le procès, le Puff a trouvé, dès le second jour, des sympathies plus vives encore, et nous parait assurer pour tout l’hiver les prospérités de la Comédie-Française.
A un point de vue plus sérieux que l’intérêt et le plaisir du moment, il faut, selon nous, s’applaudir de ce succès. La longue jeunesse dramatique de M. Scribe, ses triomphes si multipliés, si continus, ont un sens plus profond, plus instructif,