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en écrasant par une concurrence inégale les travailleurs libres, les pauvres plébéiens, qu’il réduisait à la mendicité ; il la tua également en la concentrant dans les mains de misérables qui l’exerçaient sans zèle, parce qu’ils l’exerçaient sans profit[1]. Aux époques florissantes de la république, on peut déjà signaler les symptômes précurseurs, les premiers indices de ce terrible châtiment ; lisez Plante et Térence, et voyez ces esclaves effrontés et lâches, menteurs et voleurs, ennemis domestiques du maître, même quand par intérêt ils servent et excitent ses passions : vous reconnaîtrez que l’esclavage avilit non-seulement les classes serviles, mais aussi les classes libres, en provoquant sans cesse le maître à la cruauté par la tentation d’abuser du pouvoir, à la débauche par les excitations intéressées de l’esclave, à l’oisiveté surtout, en les dispensant du travail qui moralise, et par là à toutes les dépravations.

À ces études sur les femmes et les esclaves dans la comédie latine, M. Meyer a cru devoir en joindre une autre dont l’objet est beaucoup moins intéressant, les parasites : c’est un caractère propre à la comédie ancienne, surtout à la comédie latine. Les Romains avaient toujours été de nature fort matérielle ; on voit ici encore ce qui les distingue de la race grecque, race élégante et poétique ; le parasite grec est plutôt friand, le parasite romain est vorace et glouton. Peut-être n’était-il pas nécessaire de s’étendre si longuement sur un caractère assez monotone et presque toujours repoussant. Pour qu’un caractère, un vice même, soit vraiment digne de la comédie, il faut qu’il ait son côté poétique, si l’on peut s’exprimer ainsi ; il y a peu de vices qui n’aient une sorte d’idéal : le débauché, l’avare, l’intrigant, ont leur poésie relative, et Molière ne manque jamais de la leur donner ; le glouton n’est que rebutant. M. Meyer remarque que ce type a été peu exploité par les modernes ; cela aurait dû l’avertir d’y insister un peu moins. Après avoir énoncé cet axiome d’une trop incontestable vérité : « Supprimez l’appétit, il n’y a plus de parasites ou plutôt de gastronomes, M. Meyer cite, comme rapprochement avec Plaute et Térence, une trentaine de vers empruntés à des couplets de vaudeville et extraits du Gastronome sans argent ; il ajoute en note que M. Pique-Assiette est la dernière pièce française qui se soit spécialement occupée de ce personnage. Je n’aurai pas la témérité de parler d’œuvres que je ne connais pas ; mais j’incline à croire que M. Meyer aurait pu trouver des rapprochemens un peu plus littéraires. S’il voulait nous montrer chez les modernes le type du glouton, il me semble que le Gargantua de Rabelais et le Falstaff de Shakspeare prêtaient à une comparaison plus intéressante encore ; Diderot, dans le Neveu de Rameau, lui eût fourni

  1. Voyez Histoire de l’esclavage ancien, introduction, par M. Wallon.