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jusque dans son camp. Depuis plusieurs mois, Pierre IV avait entamé une correspondance secrète avec l’infant d’Aragon son frère, et ce prince, toujours mobile et inconstant, s’était laissé gagner à ses promesses. Au mois de décembre 1357, don Fernand parut tout à coup dans le royaume de Valence, et, après s’être dénaturé solennellement pour la seconde fois, par une de ces comédies si fréquentes alors[1], il remit à l’Aragonais Orihuela et les autres châteaux qu’il possédait dans cette province, et pour lesquels il avait déjà fait hommage au roi de Castille. Nommé aussitôt procurateur-général du royaume, il arma ses vassaux aragonais et y joignit une troupe assez nombreuse de Castillans attachés à sa personne. Par un traité de paix et de réconciliation qui fut signé à la Cañada del Pozuelo, le 7 décembre 1357, Pierre IV s’obligea de lui rendre tous ses domaines, de solder les Castillans qu’il pourrait attirer à son service, enfin, de ne faire ni paix ni trêve avec don Pèdre sans son assentiment[2]. Cette dernière condition, devenait, comme on le voit, une formule banale de tous les traités conclus avec les transfuges. Pour l’infant don Juan, brouillé depuis long-temps avec son frère, ennemi des bâtards à cause de ses prétentions sur la seigneurie de Biscaïe, il demeura auprès de don Pèdre, traité en apparence avec la même faveur, mais, en réalité, objet de méfiance et d’aversion pour tous les partis.

Vers le même temps, la comtesse de Trastamare, retenue prisonnière depuis plus d’une année à la suite de la prise de Toro, parvint à s’échapper et à gagner l’Aragon. Gomez Carrillo, majordome de don Henri, peu après la proclamation de la trêve de Tudela, avait adressé au roi de Castille des offres de soumission qui furent acceptées. Il revint à la cour, fut bien accueilli, et obtint même l’investiture de la ville de Tamariz, pour laquelle il se reconnut homme-lige du roi. Mais sa défection était feinte et n’avait d’autre but que de le rapprocher de la comtesse de Trastamare. Pendant qu’il affectait le plus grand zèle pour son nouveau maître, il préparait dans un profond secret la fuite de la captive, qu’il avait trouvé moyen d’instruire de ses véritables intentions. Dès qu’une occasion favorable se présenta, il disparut avec la Comtesse, enlevant ainsi au roi le plus important de ses otages et le plus compromis depuis l’alliance déclarée entre don Henri et Pierre IV[3].


V.

Le récit des événemens qui suivirent l’expédition de don Pèdre en Aragon ne m’a pas permis de rapporter à leur date ceux qui se passaient

  1. Zurita, p. 284 et suiv. — Hist. de Murcia, 124. — Carbonell, p. 185.
  2. Arch. gen. de Aragon., autografos. Segona Caixa.
  3. Ayala, p. 232.