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de lui laisser pour consolation, au milieu de ses vénales amours, son amour désintéressé pour son pauvre Argyrippe : — « Le pauvre pâtre même, qui soigne les brebis d’autrui, en a une à lui, ma mère ; c’est elle qu’il distingue et qu’il aime au milieu des autres ; c’est son bien, elle console son espérance. Ma mère, laisse-moi ainsi n’aimer qu’Argyrippe, c’est lui que je veux pour mon cœur[1] ! »

Au milieu des grandes libertés du théâtre antique, adoucies, comme on le voit, par ces sentimens de tendresse et d’amour, ce respect inaltérable du lien conjugal pourrait donner à penser à ceux qui ne sont pas déterminés d’avance à prendre leurs opinions toutes faites et à ruminer éternellement les préjugés consacrés. En examinant à ce point de vue Plaute et Térence, peut-être pourrait-on conclure que le théâtre latin était à cet égard beaucoup plus moral que le nôtre. C’est l’opinion de M. Meyer, et ce paradoxe a tout l’air d’une vérité. Il est vrai qu’il faudrait alors renoncer aux interminables dissertations sur les influences qui ont pu modifier la moralité du théâtre moderne ; on y perdrait bien des tirades de haute éloquence, car on sait que cette question est un des lieux communs de la critique actuelle. Cependant, quelque douloureux que pût être ce sacrifice, si la vérité le commandait, il faudrait peut-être s’y résigner. Je remarquerai en passant, à l’appui de cette opinion de M. Meyer, que telle pièce du théâtre ancien, transportée sur le théâtre français, peut devenir beaucoup plus immorale, dès qu’aux courtisanes déjà perdues on substitue une femme ou une jeune fille honnête. L’Amphitryon français même est au fond beaucoup plus choquant que l’Amphitryon latin. La divinité de Jupiter est pour nous une fiction dont nous tenons à peine compte ; c’est tout simplement un amant qui trompe un mari et le trompe gaiement. Cette divinité, au contraire, était pour les anciens une réalité. Comme l’a fort bien remarqué Jean-Jacques, les fredaines de Jupiter ne tiraient pas à conséquence, et ses adorateurs ne se croyaient pas tenus à l’imiter ; inconséquence, si vous voulez, mais l’inconséquence n’est-elle pas le fond de la nature humaine ? Peut-être y avait-il dans Plaute une impiété de plus, mais il y avait aussi une immoralité de moins. Enfin l’Amphitryon français ne peut-il pas sembler l’apologie des faiblesses de Louis XIV, et le seigneur Jupiter ne semble-t-il pas dorer la pilule aux maris tentés de se fâcher comme M. de Montespan ? La première représentation de cette pièce fut égayée, dit Tallemant des Réaux, par un incident assez remarquable. Après la scène où Alcmène se retire avec Jupiter, au moment où le tonnerre se fait entendre, le Jodelet de la troupe s’avança, et s’adressant au public : Si toutes les fois qu’on fait un c… à Paris, on faisait aussi grand bruit, tout le long de l’année on n’entendrait

  1. Plaute, Asinaria, v. 521.