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Ce qui nous étonnera le moins, c’est l’aspect physique de Rome, ses immenses amphithéâtres, ses quatorze régions toutes peuplées d’admirables monumens, son forum pacifié, mais toujours plein de tragiques souvenirs. Il y a, dit-on, encore à Rome quelque chose qui ressemble à des élections ; voyons un peu ce qu’étaient alors les manœuvres électorales. Nous reconnaîtrons que nos pauvres scandales sont des misères insignifiantes à côté de la corruption organisée de Rome ancienne, et que nos plaintes à ce sujet feraient pâmer de rire quelque Romain d’alors, Asinius Pollion par exemple (un de ces conservateurs indépendans qui blâmaient toujours le gouvernement impérial, et concluaient invariablement en votant pour lui). Nous devrons reconnaître ici notre infériorité, et confesser qu’en ceci, comme en beaucoup d’autres choses, les Romains seront toujours pour nous des modèles décourageans.

Le mécanisme électoral reposait surtout sur la bienveillance mutuelle, les devoirs réciproques des cliens et des patrons. Les devoirs du patron ou de l’éligible envers ses cliens ou ses électeurs étaient de deux sortes. D’abord il devait les protéger dans tous leurs intérêts. Il ne s’agissait pas de leur procurer des places. Depuis la chute de la république, les fonctions civiles, conférant fort peu de puissance, étaient peu recherchées. L’édilité, à Rome, par exemple, fonction qui correspondait à peu près à celle de préfet à Paris, était évitée comme un fléau, et, comme personne ne voulait plus s’en charger, Auguste fut obligé de faire tirer au sort parmi les anciens tribuns ou questeurs, et d’en condamner quatre à l’édilité. Nous n’en sommes pas réduits là. Il est vrai qu’à Rome ces fonctions pénibles et dispendieuses étaient gratuites, comme presque toutes les fonctions publiques ; c’est ce qui explique le désintéressement des Romains à cet égard.

Les services que le patron devait rendre à ses cliens étaient d’une nature toute personnelle ; il devait être prêt à les assister dans leurs procès par son éloquence, s’il était orateur, ou tout au moins par sa présence ; il ne pouvait témoigner contre eux en justice, la loi même l’en dispensait. Manquer de parole à un client, le tromper par de fausses promesses, c’était un scandale inoui ; c’était perdre un électeur, mais de plus l’opinion publique était très rigoureuse à cet égard, et cela même allait si loin, que le doux Virgile met tout simplement dans les enfers ceux qui manquent à leurs engagemens avec leurs cliens (aut fraus innexa clienti ). Aujourd’hui que tant d’honnêtes gens font à leurs électeurs des promesses qu’ils ne peuvent tenir, cette fiction poétique serait intolérable ; le nombre des coupables suffit pour éloigner toute idée d’un pareil châtiment ; la sombre imagination de Dante lui-même s’en effraierait.

A cela se bornaient les devoirs du patron sous la république : c’était en défendant en justice ceux qui avaient besoin de son assistance que Cicéron