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et actives. Au fond, les hommes les plus éclairés et les plus importuns n’auront point voulu la guerre : ils la déploreront ; mais ils y seront précipités par le flot qu’ils auront soulevé ou laissé soulever derrière eux, par les passions qu’ils auront fomentées ou qu’ils n’auront pas su contenir.

On ne peut donc trop se hâter de travailler à sortir de cette impasse. Pour nous en particulier, la guerre, qui n’est jamais une entreprise raisonnable, serait, dans ce cas, la plus détestable des absurdités. On ne voit pas quel objet avouable pourrait avoir une guerre contre l’Angleterre. Les traités de 1815 nous sont odieux, et c’est pour en prendre notre revanche que nous irions en guerre. Bien ; mais, si ces traités nous blessent, il me semble que c’est parce qu’ils nous ont trop réduits du côté du Rhin et du côté de l’Italie. Or, comment une guerre contre l’Angleterre peut-elle nous rendre la ligne du Rhin, ou nous restituer quelques-uns des passages des Alpes que nous aurions voulu conserver ? En déclarant la guerre à l’Angleterre, nous serions forcés d’avertir à son de trompe l’Europe entière que nous n’avons aucune convoitise des provinces rhénanes, ni de la Savoie et de Nice ; car, si nous ne proclamions pas cet avis préalable, nous aurions immédiatement l’Europe sur les bras. Quel serait donc le but de cette guerre, sinon de répandre un torrent de sang anglais ? C’est insulter au bon sens de la France que de lui supposer de telles intentions.

Je ne conseillerais jamais à ma patrie, si j’étais en position de lui donner des conseils, de se lancer dans une guerre de conquêtes, quelle qu’elle soit, même pour ravoir la ligne du Rhin et s’assurer une tête de pont sur l’Italie. Je suis persuadé que nous avons très peu d’avantages à en attendre, en admettant qu’elle dût être parfaitement heureuse. Nous devrions toujours avoir présente à l’esprit cette déclaration de l’assemblée constituante aux peuples civilisés, que la France renonçait à s’agrandir. La France ne serait pas plus forte pour avoir quelques départemens de plus. Le secret de notre puissance est tout entier, on ne saurait trop le répéter, dans les principes de 1789. Notre faiblesse est dans les idées de domination qu’on nous suppose et qu’on est fondé à nous prêter après la république et l’empire. La grandeur de la France sera vite reconstituée du jour où nous consacrerons toutes nos ressources financières et tous les trésors de l’esprit français à donner au monde l’exemple d’une application de plus en plus complète de ces principes. Pendant les XVIIe et XVIIIe siècles, le premier rang en Europe appartenait à la France, parce qu’elle élaborait magnifiquement ces pensées sublimes au profit du monde entier. Ce fut là ce qui répandit partout nos idées, notre langue et nos usages : reprenons l’œuvre maintenant, et nous serons encore les guides du genre humain,