Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son ennemi particulier, le comte de Foix, était à la solde du roi d’Aragon, passa les Pyrénées pour se mettre aux ordres de don Pèdre avec une troupe d’hommes d’armes aguerris par leurs longues campagnes en France[1]. C’est qu’alors la guerre était un métier lucratif et l’occasion de grandes fortunes. Le riche-homme espérait y gagner des terres et des châteaux ; le simple écuyer comptait que sa bonne lance lui vaudrait maint chevalier à mettre à rançon, mainte belle armure, maint cheval de bataille. Tous rêvaient le pillage des villes sans défense. Peu de jours après la prise de Tarazona, don Pèdre se vit à la tête de 7,000 hommes d’armes et de 2,000 génétaires, sans compter l’infanterie, alors trop peu estimée pour que les auteurs du moyen-âge prennent la peine d’en rapporter le nombre[2]. Les Aragonais étaient fort inférieurs en forces, même depus l’arrivée de leurs auxiliaires d’au-delà des monts, et celle des cavaliers de don Henri ; cependant, animés par la présence de leur roi, ils s’avancèrent hardiment jusqu’à Borja, à quatre lieues seulement du gros de l’ennemi. Plein de confiance, don Pèdre vint aussitôt offrir la bataille, mais l’Aragonais était trop prudent pour l’accepter, et il se tint immobile au pied des remparts de Borja, satisfait de couvrir cette place importante et d’empêcher le Castillan d’en former le siège. Alors la stratégie était un art oublié. Un général croyait en avoir fait assez pour sa gloire quand il avait présenté le combat en rase campagne, ne soupçonnant pas que, par des manœuvres, il pût y contraindre son adversaire. Pendant quelques heures, les deux armées furent en présence, témoins immobiles d’escarmouches insignifiantes que la chaleur accablante termina bientôt. De part, et d’autre, plusieurs soldats tombèrent morts de soif ou frappés de coups de soleil[3]. Dès qu’il fut constaté que les Aragonais ne se hasarderaient pas en plaine, et que les Castillans ne les attaqueraient pas à l’abri des remparts de Borja, la retraite fut sonnée, et les deux rois crurent avoir fait une campagne. Don Pèdre revint à Tarazona, et Pierre IV à Saragosse. C’était laisser le champ libre au légat, qui renouvela avec plus de force que jamais ses instances pour un accommodement.


IV.

Soit que l’orgueil de don Pèdre, satisfait par le succès de cette courte expédition, fût devenu plus traitable, soit, comme on peut le présumer,

  1. Il était vassal du roi d’Angleterre. Son nom est souvent cité par Froissart.
  2. Ayala, p. 229.
  3. Ayala, p. 229. — Pierre IV prétend qu’il offrit la bataille et que le roi de Castille la refusa. Carbonell, p. 185. — Selon Zurita, l’intervention du cardinal Guillaume aurait empêché le combat. — Zur., t. II, p. 280. — La supériorité des Castillans, la position défensive des Aragonais, et la retraite de Pierre IV sur Saragosse, m’ont paru confirmer la version d’Ayala, que j’ai suivie.