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aurait alors deux théâtres d’action bien distincts : la Manche d’abord, où nos ports pourraient abriter une force considérable qui, sortant à la faveur de la nuit, braverait les croisières les plus nombreuses et les plus serrées. Rien n’empêcherait cette force de se réunir avant le jour sur tel point convenu des côtes britanniques, et là elle agirait impunément. Il n’a fallu que quelques heures à Sidney Smith pour nous faire à Toulon un mal irréparable. »


La Note du jeune et vaillant prince ne pouvait être regardée par personne comme la révélation d’une arrière-pensée de son auguste père ou d’un projet secret du cabinet. Les hommes d’état de l’Angleterre la virent avec une pénible surprise, qu’au reste partagea plus d’un homme politique en France. Cependant, après un mouvement de déplaisir et de malaise, on sembla, de l’autre côté du détroit, admettre que ce n’était rien de plus que l’expression d’un désir tout naturel, chez un prince ardent et généreux, de témoigner son dévouement à sa patrie qu’il aime, dans l’exercice de la profession qu’il a choisie et à laquelle il s’adonne tout entier.

Sur ces entrefaites arriva l’affaire Pritchard, le premier des ennuis que devait attirer à notre gouvernement cet essai de domination sur deux points de l’Océan Pacifique, car il est impossible que nous n’y ayons pas une série d’embarras, entre les Anglais et les Américains, qui seuls ont du commerce dans ces parages et s’y observent d’un œil jaloux, et au contact de missionnaires d’une âpre intolérance et de natifs aisés à égarer. Cet homme était consul de S. M. britannique ; il fut rude et grossier autant que peut l’être John Bull quand il est excité par le fanatisme. Il n’en était pas moins revêtu d’un caractère officiel, et il fut traité de la façon la plus sommaire. Pour bien apprécier les faits encore une fois, intervertissons les rôles et supposons qu’un consul français eût été ainsi violenté. L’opinion, en Angleterre, fut un moment émue, et, aux clameurs qu’en poussa le parti influent des saints, le premier ministre, sir Robert Peel, sentit s’agiter en lui le vieux levain patriotique. Sous la première impression, il prononça en plein parlement des paroles compromettantes. Un ministre français qui aurait tenu ce langage aurait dû le soutenir jusqu’au bout ou se retirer, sous peine d’être accablé de malédictions comme un traître à la patrie pour le reste de ses jours. Sir Robert Peel, au contraire, calmé par la réflexion, abandonna la position qu’il avait d’abord prise, et accepta un arrangement qui sanctionnait ce qu’avaient fait les officiers de la marine française à Taïti, sous la condition d’une indemnité matérielle qui’ était de droit strict. Il céda donc pleinement en cette circonstance, comme il avait cédé pour le droit de visite. Le parlement le laissa faire sans réclamation ; les orateurs, même les plus fougueux, se turent. De la part du premier ministre britannique et du parlement, c’était montrer qu’on était animé au plus haut degré de l’esprit de l’entente cordiale. Il n’en fut pas de même chez nous : à la chambre des députés,