Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/511

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sentait que la France avait été blessée. On se faisait un devoir de l’apaiser en lui parlant le langage de l’estime, de l’amitié et de la déférence ; mais, en France, la blessure avait été au cœur. Les antiques haines nationales s’étaient remuées comme chez un sujet pathologique ces humeurs qu’un accident fait tout à coup entrer en ébullition. L’esprit de parti s’appliqua à irriter la plaie. Dès la première nouvelle du traité du 15 juillet 1840, on s’était mis à chanter la Marseillaise. J’admets que cet hymne ait été sublime, même par ses colères, en un temps où la France était le champion de la liberté dans un duel à mort ; mais il a perdu son harmonie depuis que l’ancien régime est renversé et que la liberté et la civilisation peuvent faire leurs affaires par des procédés plus humains. Je ne conçois pas la Marseillaise dans la bouche d’un homme de sang-froid. Or, qui est-ce qui pouvait être de sang-froid en 1792, et qui est-ce qui pouvait se dispenser de l’être en 1840 ? Ce fut pourtant de la Marseillaise qu’en 1840 s’inspira l’opinion d’une extrémité à l’autre du pays. Une clameur contre l’Anglais se leva du sein du public, semblable à celle qui dénonçait autrefois Pitt et Cobourg.

Envisageons séparément les diverses forces dont résulte le cours des événemens. Rendons-nous un compte sommaire de ce qu’ont pensé, voulu, demandé ou accompli l’opposition, le parti sur lequel s’appuie le gouvernement et le gouvernement lui-même.

Chez nous, l’opposition a presque toujours des aspirations généreuses, elle n’a pas un corps de doctrines sur lequel on puisse asseoir une autorité stable. Dans la lutte politique telle que nous l’avons, ce ne sont pas deux affirmations qui se combattent. L’opposition se comporte comme une négation. Elle s’oppose aux actes accomplis ou projetés par le gouvernement, elle n’y oppose pas un système qu’on pourrait suivre avec plus d’avantage. Pour elle, le débat politique est un duel où elle s’efforce d’atteindre son adversaire et de l’abattre sans penser à faire une situation supportable aux successeurs des ministres renversés, et c’est pour cela que les successeurs des ministres qui succombent sous ses coups sont si rarement pris dans son sein. Elle ne peut donc avoir et elle ne ressent point l’ambition du pouvoir, elle a celle de la popularité et boit à longs traits à cette coupe enchantée d’où nul ne peut approcher les lèvres, si ce n’est elle. Telle a été l’opposition chez nous depuis la fondation des assemblées délibérantes en 1789, traitant le gouvernement comme un ennemi des libertés publiques, n’ayant en face du pouvoir qu’une pensée, la chute de ceux qui l’occupent. Le gouvernement de Louis XVI devenu roi constitutionnel, celui de l’empereur Napoléon et celui de la restauration, par l’éloignement pour la liberté qui les a caractérisés, ont créé des précédens fâcheux dont s’autorise ce système d’implacable défiance. Un peuple qui, pendant une longue suite de siècles, a été courbé sous le despotisme, et qui a traversé ensuite