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l’honneur de sa maison, usait d’un droit, et, dans les idées du moyen-âge, remplissait presque un devoir[1].

L’hiver durait encore quand don Pèdre quitta Séville pour aller prendre à Molina le commandement des troupes qu’il y rassemblait de toutes parts. Mais, avant de mettre le pied sur le territoire ennemi, une nouvelle défection vint le surprendre et l’alarmer au milieu de ses projets de conquête. Pendant son séjour à Séville, le roi avait paru touché de la rare beauté de doña Aldonza, fille du fameux Alonso Coronel, et femme de don Alvar Perez de Guzman. Les attentions d’un roi de vingt-trois ans, déjà connu par l’emportement de ses passions, devaient effrayer le mari de doña Aldonza. Elles n’avaient pas moins causé d’inquiétude aux parens de Marie de Padilla, et j’ai rapporté qu’on avait attribué leurs conseils belliqueux au désir d’éloigner le roi de Séville. La guerre déclarée, don Alvar reçut l’ordre de partir pour la frontière d’Aragon avec son beau-frère, don Juan de La Cerda ; il devait commander un petit corps de troupes cantonné à Seron. Là, des bruits alarmans pour son honneur vinrent le remplir d’indignation et de désespoir. Persuadés que le roi voulait profiter de leur absence pour leur faire le plus sanglant outrage, les deux beaux-frères quittèrent précipitamment le poste qui leur était confié. Don Alvar, avant mandé sa femme auprès de lui, passa la frontière et offrit ses services à l’Aragonais, tandis que don Juan de La Cerda, plus hardi, se jeta dans le château de Gibraleon, dont il avait reçu l’investiture par le traité secret conclu à Toro entre les ligueurs et le roi prisonnier. Maître de cette forteresse, héritier des biens et des cliens d’Alonso Coroner, il se flattait de faire une puissante diversion et même d’exciter la guerre civile au sein de l’Andalousie[2]. A la nouvelle de ces mouvemens, le roi hésita quelque temps sur le parti qu’il devait prendre. Un moment, il fut sur le point de retourner à Séville, mais bientôt, mieux instruit des dispositions manifestées par les riches-hommes et les communes au bruit de cette levée de boucliers, il se détermina à pousser sa pointe et à pénétrer en Aragon.


III.

Cependant le cardinal Guillaume, accouru sur le théâtre de la guerre avec la mission d’interposer l’autorité du saint-siège entre les deux princes rivaux, avait profité de la première impression produite sur don Pèdre par la rébellion de La Cerda pour en obtenir une trêve de quinze jours. Elle avait été signée à Deza, et le cardinal employait ce

  1. Ayala, loc. cit. — Apologia del rey don Pedro, p. 180.
  2. Ayala, 224, 234.