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lien, il dit ce qu’il pense, sans examiner si ce sera agréable ou non aux différens partis, avec le désir cependant de ne blesser aucun des chefs, et avec quelque espérance d’y réussir, parce qu’il n’a d’animosité contre aucun d’eux.

Dans l’exposé rapide des faits qui se sont accomplis entre la France et l’Angleterre, partons de 1830. À ce moment, la France excita l’admiration du monde entier ; mais nulle part on ne nous témoigna autant de sympathie qu’en Angleterre. Le gouvernement anglais, alors dirigé par les tories, aurait pu, sans que personne en fût surpris, se considérer comme l’allié solidaire de la branche aînée ; il n’eut pas d’hésitation. La nation britannique manifesta un vif enthousiasme, un extrême désir de se rapprocher de la France, définitivement affranchie de l’ancien régime. Le toast que notre compatriote Jacquemont motiva par de si belles paroles, au fond de l’Inde, en présence d’un auditoire transporté : France and England for the world ! exprimait une pensée qui était dans tous les cœurs anglais à ce moment.

Une lutte acharnée de huit siècles sembla non-seulement terminée, mais oubliée. Une fois que les whigs eurent enlevé le pouvoir aux tories, en novembre 1830, les deux gouvernemens marchèrent dans un remarquable accord, au milieu de beaucoup de difficultés. Le cabinet anglais prêta main forte à la cause libérale sur tous les points de l’Europe où elle réclamait appui, peut-être avec plus de résolution que le gouvernement français lui-même, dans la péninsule ibérique particulièrement. Cette bonne harmonie fut troublée pendant les dernières années du ministère whig par des dissidences au sujet de l’Espagne, où l’influence anglaise s’exerça désormais en faveur des exagérés. On semblait pourtant rester généralement en bons termes, lorsque le Levant, où il ne s’agit pas de liberté, devint une cause de tiraillement, et le traité du 15 juillet 1840, éclatant comme un coup de tonnerre, déchira le pacte d’amitié que les deux peuples croyaient avoir signé pour l’éternité, après leur accolade de 1830.

Ce traité maintenant appartient à l’histoire, et peut être historiquement apprécié dans ses causes. Je ne crois pas m’aventurer en disant que si lord Palmerston eut l’impardonnable tort, non-seulement de s’y prêter, mais d’y jouer un rôle d’instigateur, la politique française était conduite alors de manière à exciter les mauvais sentimens chez les puissances et surtout à Londres. Nous n’avons pas d’intérêts positifs en Orient. Dans l’Orient le plus reculé, je veux dire à l’autre extrémité de l’Asie, nous n’existons plus politiquement ni même commercialement. L’Angleterre y possède un vaste empire qui tous les jours s’étend, et une population de sujets si nombreuse, que l’empire romain tout entier, au temps de sa splendeur, ne l’égalait pas. Ce qu’on nomme ordinairement le Levant, l’ensemble des pays que baignent la Méditerranée ou