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de don Pèdre, Juan Jimenez de Cordoue, y perdit la vie[1] ; car le vainqueur, averti que le roi était dans Montiel, ne suivit point la chasse et revint bloquer toutes les avenues du château. Mais les Maures auxiliaires, reconnaissables à leur costume, traqués de toutes parts par les paysans de la Manche et de l’Andalousie, furent presque tous taillés en pièces. Il avait suffi d’une heure pour que don Pèdre se trouvât réduit à l’étroite enceinte d’un château médiocrement fortifié et dépourvu de vivres et de munitions.


VIII.

A l’activité extraordinaire que déployaient les vainqueurs pour entourer les remparts de Montiel de larges tranchées et de murs en pierres sèches, au soin qu’ils prenaient de garder toutes les issues, le malheureux roi comprit que sa retraite était connue et que son ennemi se préparait à l’y forcer. Il essaya cependant de lui donner le change, et, par son ordre, le commandeur Garci Moran envoya un héraut aux assiégeans, offrant de rendre la place si, dans le délai d’un mois, le roi don Pèdre ne se présentait pas avec des forces suffisantes pour les obliger d’abandonner leur entreprise. Ce message fut reçu avec d’amères railleries. On répondit qu’avant un mois le château et don Pèdre seraient au pouvoir de don Henri. Nul espoir de s’ouvrir un passage l’épée à la main, ni de tromper la vigilance des gardes nombreuses qui, jour et nuit, bordaient ces retranchemens improvisés. Restait une seule chance de salut : c’était de séduire quelques-uns des capitaines étrangers au service de don Henri. On pouvait encore se flatter que ces soldats mercenaires se laisseraient gagner à force d’or et fourniraient au roi les moyens de s’échapper. Don Pèdre chargea de cette négociation Men Rodriguez de Senabria, dont il avait en plusieurs occasions éprouvé l’intelligence et la fidélité. Gouverneur de Briviesca en 1366, Men Rodriguez avait le premier donné l’exemple d’une résistance désespérée, lorsque tous les autres capitaines du roi abaissaient leurs ponts-levis devant les bannières des aventuriers. Il était né dans le comté de Trastamare, et par conséquent il avait maintenant pour seigneur naturel Du Guesclin, à qui don Henri avait donné le titre qu’il portait avant son couronnement. Après la prise de Briviesca, Du Guesclin, qui honorait la bravoure, même dans un ennemi, cherchant d’ailleurs peut-être à s’attacher ses nouveaux vassaux, avait racheté de ses deniers Men Rodriguez, et avait essayé, mais inutilement, de le faire entrer au service de don Henri. Cependant la générosité du capitaine français avait paru faire une vive impression sur son prisonnier, et ils s’étaient

  1. Ayala, p. 549.