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castillanne qui l’occupait depuis la cession faite par l’infant à don Pèdre ; aussitôt les Aragonais s’empressèrent d’en augmenter les fortifications et de la mettre à l’abri de toute insulte[1].

La guerre, qui jusqu’alors n’avait été qu’une suite de rapides incursions ou plutôt de pillages, semblait devoir prendre une face nouvelle au commencement de l’année 1357. De part et d’autre on avait employé l’hiver à de grands préparatifs. Don Pèdre, pour se procurer de l’argent, avait eu recours aux négocians de Séville, qui lui firent des avances considérables. Il ne craignit point, pour augmenter ses ressources, de s’emparer des riches ornemens qui décoraient les tombeaux de saint Ferdinand, de la reine Beatriz et de leur fils don Alphonse X[2]. Ces objets, beaucoup plus précieux par le travail que par la matière, disparurent dès-lors sans que le clergé osât y mettre obstacle ; le roi publiait qu’il ne fallait pas laisser tant de richesses exposées à la cupidité des voleurs dans un lieu mal gardé. Tel fut le prétexte frivole de ce sacrilège que les arts déplorent aujourd’hui.

Vers la même époque, c’est-à-dire dans les premiers jours de janvier 1357, la reine Marie, mère de don Pèdre, mourut à Evora après une courte maladie. On a vu qu’elle avait quitté la Castille peu après la prise de Toro et qu’elle s’était réfugiée en Portugal. Elle y vécut quelque temps, en apparence étrangère à toute intrigue politique, plus occupée, comme il semble, de donner un successeur à Martin Tellio qu’à disputer le pouvoir à son fils. Suivant le bruit public, le poison abrégea ses jours[3]. Des écrivains modernes ont accusé don Pèdre d’avoir puni par un parricide la partialité que la reine avait montrée pour la cause des ligueurs. Je crois inutile de le justifier d’une accusation qui ne repose sur aucun fondement et que ne confirme nul témoignage contemporain. La reine Marie était trop universellement méprisée pour rallier aucune des factions qui divisaient la Castille. On la savait incapable de jouer un rôle politique ; le hasard seul avait mis un instant entre ses mains les destinées du royaume, lorsque pendant l’absence de son fils elle livra Toro aux confédérés. Il faut, de parti pris, attribuer à don Pèdre les actions les plus atroces pour lui imputer jusqu’à des crimes complètement inutiles. Si la mort de la reine Marie ne fut pas naturelle, l’opinion des plus graves auteurs contemporains en fait retomber la responsabilité sur le roi de Portugal son père, irrité, dit-on, du scandale de ses nouvelles amours, Ayala, en rapportant le fait comme accrédité de son temps, n’exprime ni pitié pour la victime, ni blâme pour son bourreau. Roi et père, Alphonse de Portugal, en vengeant

  1. Zurita, t. II, p. 275. — Cascales, Hist de Murcia, p. 122.
  2. Zuñiga, An. eccl., II, 142. Voir à l’appendice la description des tombeaux.
  3. Ayala, p. 226.