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devant Tolède. Une partie de l’armée dut rester pour la garde des ouvrages de circonvallation tandis que le reste se porterait à la rencontre de l’ennemi. Laissant toute son infanterie dans ses retranchemens, don Henri s’avança de sa personne avec l’élite de ses gendarmes à Orgaz, sur la limite de la Manche, pour surveiller les mouvemens de son adversaire. En même temps, il écrivit au maître de Saint-Jacques, Gonzalo Mexia, de venir le joindre au plus vite en lui amenant tout ce qu’il aurait de troupes disponibles, sans trop affaiblir la garnison de Cordoue. Ainsi, de part et d’autre, les détachemens isolés accouraient au corps principal, et les deux rivaux s’apprêtaient à paraître sur le champ de bataille accompagnés de leurs meilleurs soldats.

Gonzalo Mexia passa la Sierra-Morena par la route qui mène de Cordoue à Ciudad-Real, avec environ quinze cents cavaliers, et, débouchant dans la Manche, se trouva sur le flanc droit de l’armée royale, qui avait traversé les montagnes beaucoup plus à l’ouest. Il observa sa marche d’assez loin pour ne pas se laisser entamer, et la précédant toujours, de manière à gêner ou intercepter les communications du roi avec ses adhérens en Castille[1]. Près d’Orgaz, il fit sa jonction avec don Henri, qui venait de rallier les six cents lances françaises de Du Guesclin. Au moyen de ce double renfort, l’armée du prétendant s’élevait à trois mille hommes d’armes, tous vieux soldats éprouvés ; mais il n’avait point d’infanterie et peu ou point de cavalerie légère. Malgré son infériorité numérique, témoin de l’ardeur que montraient ses gens, encouragé par les capitaines français, il marcha droit sur Montiel.

Le détachement parti de Cordoue avec le maître de Saint-Jacques n’avait pas permis à don Pèdre de s’éclairer au loin ; il était persuadé que don Henri l’attendait sous Tolède, et telle était sa sécurité, qu’en arrivant à Montiel il permit à ses troupes de se répandre dans les villages voisins pour y chercher des vivres et des fourrages ; une distance de plusieurs lieues séparait les divers détachemens de son armée, et cependant don Henri, parfaitement servi par ses espions, n’était qu’à une marche de Montiel.

La nuit du 13 au 14 mars, la guette du château de Montiel, où logeait don Pèdre, signala un grand nombre de feux en mouvement à moins de deux lieues dans les montagnes. Ces feux étaient les torches portées par l’avant-garde de Du Guesclin, qui, s’avançant à travers champs au milieu des ténèbres, indiquait ainsi sa direction au reste de l’armée. Le commandeur Garci Moran réveilla le roi pour lui communiquer le rapport de la guette ; mais le roi lui dit de n’avoir aucune inquiétude,

  1. Ayala, p. 545. — Il est évident que le maître de Saint-Jacques ne put abandonner Cordoue que lorsque don Pèdre fut au nord de la Sierra-Morena. Or, pour qu’il pût le précéder sur la route de Tolède, il fallait que le roi eût débouché soit en Estramadure, soit dans la partie occidentale de la Manche.