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temps six brèches, ou plutôt six trous ouverts dans la muraille du vieil Alcazar, livrent passage aux musulmans. En ce moment, les femmes, croyant la ville prise, se jettent dans les rues, les cheveux épars et poussant des cris lamentables. Elles appellent les hommes d’armes ; tantôt elles les accablent d’injures et leur reprochent leur lâcheté ; tantôt, avec des sanglots et des larmes, elles les conjurent de tenter un dernier effort pour les arracher à l’esclavage et à la brutalité des infidèles. Ce spectacle ranime les chrétiens. Ils se précipitent avec la rage du désespoir sur les postes déjà occupés par les Maures, et les repoussent sur les brèches qu’ils n’ont pas encore eu le temps d’élargir. A l’ardeur des Grenadins succède une terreur panique. Leurs plus braves soldats sont culbutés du haut des remparts. On arrache leurs enseignes noires déployées un instant sur la Calahorra. Cette tour et les brèches de l’Alcazar, obstruées de cadavres, sont reprises par les chrétiens. De tous côtés, les infidèles se débandent ; une vigoureuse sortie, conduite par le maître de Saint-Jacques, achève de les mettre en déroute et les ramène battant jusqu’au pied des collines où ils avaient planté leurs tentes. Lorsque la retraite des Maures eut mis fin au combat, une partie des habitans, dans l’ivresse de la victoire, passa la nuit à chanter et à danser dans les rues à la lueur des feux de joie, tandis que d’autres plus prudens s’empressaient à boucher les brèches des remparts, à réparer les plates-formes et les machines, à porter sur les courtines des pierres, des traits, tous les projectiles nécessaires pour repousser un nouvel assaut[1].

Les Maures, qui avaient fait des pertes considérables, n’essayèrent pas de recommencer l’attaque. De la confiance, ils avaient passé au découragement. Allah, disaient-ils, ne veut pas nous rendre la cité sainte ! D’ailleurs, ils étaient dépourvus de vivres et n’avaient pas eu le temps d’amener un matériel de siége. En quelques jours, toute cette grande armée se dispersa. Après de vains efforts pour retenir ses alliés, don Pèdre lui-même fut contraint de retourner à Séville ; mais, avant de lever son camp, il envoya son héraut proclamer, aux portes de la ville assiégée, que Cordoue était déclarée tout entière coupable de trahison, et que, lorsqu’il y rentrerait, il la livrerait aux flammes et ferait passer la charrue sur les fondemens de ses édifices.

Le succès inespéré des Cordouans et l’indignation causée par les ravages des Maures obligèrent plusieurs villes de l’Andalousie à se soulever et à proclamer le prétendant. Jaën et Ubeda payèrent chèrement leur audace. Toutes les deux furent détruites de fond en comble par le roi de Grenade[2]. Les alliés musulmans de don Pèdre, voyant des ennemis

  1. Ayala, p. 525 et suiv. — Conde, Hist. de los Arabes, 4e part., cap. 26.
  2. Idem, p. 528. — Argote de Molina, Nobleza de Andalucia, p. 238.