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Pèdre retenait alors prisonnier dans le château de Burgos. Partout ses partisans lui tenaient prêts des guides et des vivres. A Balbastro, il apprit qu’un corps de troupes considérable était envoyé de Sarragosse par le roi d’Aragon pour le combattre ; mais les chefs même de cette armée l’avertirent courtoisement de leur approche et lui témoignèrent qu’ils obéissaient fort à contre-cœur à des ordres réprouvés par tous leurs compatriotes. Vraisemblablement, Pierre IV comptait sur la désobéissance de ses capitaines, et n’avait d’autre but que de prouver au prince de Galles qu’il était étranger aux projets de don Henri. Celui-ci cependant, précipitant sa marche, fut bientôt hors d’atteinte. Traversant avec rapidité une partie du territoire navarrais, qu’on ne put ou qu’on ne voulut pas lui disputer, il passa l’Èbre près d’Azagra et se trouva enfin en Castille devant Calahorra, la ville où l’année précédente il avait été proclamé roi.

En touchant la rive droite de l’Èbre, don Henri demanda s’il était en Castille. On lui répondit qu’il venait d’entrer dans son royaume. Aussitôt il descendit de cheval, se jeta à genoux, fit une croix sur le sable et la baisa. « Par cette croix, s’écria-t-il, image de l’instrument de notre rédemption, je jure que, pour dangers ou malheurs qui m’adviennent, je ne sortirai plus vivant de ce royaume de Castille. En Castille, j’attendrai la mort ou telle aventure que le ciel me réserve[1] ! » Puis, se relevant, il arma plusieurs chevaliers comme au jour d’une bataille, entre autres le bâtard de Béarn, qu’il fit dans la suite comte de Medina Celi.

Calahorra n’avait pas attendu son approche pour se déclarer en sa faveur. Déjà un grand nombre de ses partisans s’y étaient donné rendez-vous, et la ville réunissait en ce moment cinq à six cents hommes d’armes castillans ou français, la plupart ayant combattu à Najera, tous bien montés et remplis d’ardeur. Pendant plusieurs jours, don Henri s’arrêta dans cette petite ville pour y rallier les volontaires qui se présentaient de toutes parts. Dès-lors, se voyant à la tête d’une force respectable, il marcha audacieusement sur Burgos. Partout il était accueilli avec des transports de joie. Logroño fut la seule ville qui lui fermât ses portes. Ce n’était pas le temps de s’amuser à un siège et, après une escarmouche aux barrières, il reprit sa marche avec rapidité. Burgos était déjà bloquée par ses partisans. Deux factions divisaient cette grande ville : la plupart des bourgeois voulaient accueillir don Henri, mais le château avait une garnison de deux cents lances, et les Juifs, toujours fidèles à don Pèdre, avaient pris les armes et se fortifiaient dans leur quartier, résolus de le défendre. Aussitôt que la bannière royale fut déployée, l’archevêque, tout le clergé et les principaux de la bourgeoisie sortirent en procession, apportant leurs clés, et conduisirent

  1. Ayala, p. 514.