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royaumes de Leon et de Galice, où il exerçait de fait une autorité presque souveraine. A Diego Gomez de Castañeda, on aurait confié la vieille Castille ; enfin la province de Tolède, avec la Manche et l’Estramadure, aurait été le lot de Garci Fernandez de Villodre[1].

Je rapporte ce plan remarquable sur l’autorité d’Ayala, et il me semble trop conforme aux idées et aux vœux de la noblesse castillanne pour qu’il puisse être révoqué en doute comme impraticable. Depuis que don Pèdre avait pris lui-même d’une main forte les rênes du gouvernement, sa politique constante avait été de réduire ses grands vassaux à un rôle subalterne. L’irritation de ces derniers avait préparé les voies à l’usurpation de don Henri, en 1366. Mais, si la noblesse était unanime pour secouer le joug de don Pèdre, elle se divisait lorsqu’il s’agissait de lui donner un successeur. Un grand nombre de riches-hommes, orgueilleux de leur blason sans tache, reprochaient à don Henri le malheur de sa naissance. D’ailleurs, la partialité qu’il montrait pour les étrangers qui lui avaient donné un trône blessait les susceptibilités nationales. Entre les riches-hommes qui redoutaient le despotisme de don Pèdre et ceux qui méprisaient l’origine de don Henri, Martin Lopez tentait d’élever un troisième parti. Rien de mieux combiné que son plan pour satisfaire aux passions dominantes des grands vassaux. Un fantôme de roi sous un tuteur trop éloigné pour être incommode, puis quatre maires du palais, véritables souverains sans en porter le titre, que pouvaient rêver de plus séduisant ces nobles seigneurs trop fiers pour souffrir un maître ? Ajoutons qu’un pareil système de gouvernement n’était pas nouveau en Espagne. Il s’y était produit tout naturellement à l’époque où les chrétiens commencèrent à refouler les Arabes vers le sud de la péninsule. Récemment encore, pendant la minorité de don Alphonse, le royaume de Castille avait été divisé de la sorte entre ses tuteurs. Après de si grandes révolutions, le moment était bien choisi pour partager les dépouilles du pouvoir royal. On ne peut savoir aujourd’hui si le prince de Galles était instruit du rôle qu’on lui réservait, et si Martin Lopez conspirait de concert avec les riches-hommes entre les mains desquels l’autorité monarchique allait se dissoudre ; mais on peut croire, avec quelque vraisemblance, que les Anglais, mécontens de don Pèdre, voyaient sans peine les dispositions de la noblesse castillanne, et l’encourageaient même à l’exécution d’un projet qui ne pouvait qu’augmenter leur influence. Quant aux seigneurs désignés pour gouverner la Castille avec Martin Lopez, l’attachement singulier que don Fernand de Castro et Garci de Villodre montrèrent au roi jusqu’au dernier moment ne permet pas de supposer qu’ils fussent entrés dans une conjuration contre un prince pour lequel ils

  1. Ayala, p. 497 et suiv.