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appuyée par la réputation sans tache du vieux maréchal, fut accueillie avec faveur. Tout ce qui pouvait étendre cette indépendance dont les nobles du moyen-âge étaient si jaloux, devait plaire aux juges du maréchal, capitaines d’aventure comme lui. Il fut absous à l’unanimité. Le prince lui-même, toujours généreux, admit sans hésiter une défense qui lui enlevait la gloire de la journée de Najera et le réduisait lui-même au rôle d’un mercenaire. Loin de se tenir pour offensé, il témoigna hautement son approbation du jugement et assura le maréchal qu’il lui rendait toute son estime[1].


VI.

Avant de raconter les suites de la bataille de Najera, je dois faire connaître le sort du rival de don Pèdre. Entraîné par le flot des fuyards, don Henri s’éloignait du combat monté sur un cheval bardé de fer, lorsqu’il fut rencontré et reconnu par un de ses écuyers nommé Rui Fernandez de Gaona, qui, remarquant que le cheval du roi pouvait à peine marcher, lui donna le sien équipé à la légère ; quelques instans après Gaona et le cheval de don Henri étaient pris par les Anglais[2]. Grace à sa nouvelle monture, don Henri put se dérober à ceux qui s’attachaient à sa poursuite. Après avoir traversé, non sans peine, le pont de Najera, au lieu de prendre la route de Burgos, il se dirigea vers Soria ; c’est le chemin qui mène en Aragon. Vaincu, il sentait bien qu’aucune ville de la Castille ne s’exposerait à le recevoir. Le lendemain de la bataille, suivi de trois cavaliers seulement, qui l’avaient rejoint, il gagna le territoire de Soria, où l’attendait un nouveau danger. Cette province, insurgée dès avant son désastre, était parcourue en tout sens par des partis ennemis. Quelques cavaliers le reconnurent, et, devinant sa mauvaise fortune à l’état de son équipage, essayèrent de l’arrêter. Il tua de sa main un des assaillans et obligea le reste à lui laisser le passage. Parvenu en Aragon à travers mille dangers, il fut d’abord accueilli par don Pèdre de Luna, fameux depuis sous le nom de l’antipape Benoît XIII, qui lui servit de guide dans les montagnes et le conduisit lui-même jusqu’à Orthez. Le comte de Foix, seigneur du pays et vassal du roi d’Angleterre, bien qu’il fût plus que personne intéressé à ne pas exciter le courroux du prince de Galles, n’en reçut pas moins le proscrit avec tous les égards dus à son rang et à ses malheurs. Il lui donna des chevaux et une escorte pour gagner Toulouse ; là enfin, don Henri respira librement[3].

Don Telle, sur lequel la mauvaise conduite du corps qu’il commandait

  1. Ayala, p. 458 et suiv.
  2. Rymer, t. III, p. 2. P. 132. Memoranda de Conflictu proenotato.
  3. Ayala, p. 461, 462.