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Salvatierra[1] proclama don Pèdre et ouvrit ses portes aux coureurs de l’armée anglaise, dont les différentes divisions se concentraient autour de Pampelune. Salvatierra est la première ville de Castille sur la route qui conduit à Burgos en traversant l’Alava. Don Henri, ne doutant pas que le prince de Galles ne se dirigeât de ce côté, passa l’Èbre auprès de Haro avec toutes ses troupes, et vint camper à Treviño, à quelques lieues de Salvatierra. Là, tous ses capitaines rassemblés en conseil de guerre, il leur communiqua une lettre que le roi de France lui adressait pour l’engager à ne pas tenter la fortune, dans une bataille, contre un général si habile que le prince de Galles et des soldats si redoutables que les vieilles bandes qu’il menait à sa suite[2]. Bertrand Du Guesclin, le maréchal d’Audeneham et la plupart des aventuriers français appuyèrent ce conseil, déclarant avec franchise que les Anglais étaient invincibles en bataille rangée. Suivant Du Guesclin, il fallait les harceler par de continuelles escarmouches, les attirer lentement dans l’intérieur du pays, où les fatigues, le climat, le manque de vivres, décimeraient en peu de temps ces belles troupes ; en un mot, il proposait le plan qu’il exécuta lui-même, quelques années plus tard, en France, contre une armée anglaise beaucoup plus considérable. Mais cette guerre, praticable dans un pays comme la France, fidèle à son roi et s’armant avec enthousiasme pour la défense commune, offrait de grands dangers en Castille, où les peuples se partageaient entre les deux prétendans au trône. Les capitaines castillans représentaient, non sans raison, que si l’on faisait un pas en arrière, la retraite paraîtrait un aveu de faiblesse et d’infériorité ; que les provinces cédées à l’invasion se déclareraient aussitôt contre don Henri, et que la défection deviendrait bientôt générale. Ils rappelaient que, l’année précédente, don Pèdre avait perdu son royaume pour n’avoir pas osé livrer une bataille ; l’imiter maintenant, c’était se préparer le même sort. Après avoir écouté en silence les deux opinions, don Henri se prononça pour le parti le plus audacieux. L’honneur, dit-il, lui défendait d’abandonner à la vengeance de son ennemi des villes et des hommes qui s’étaient sacrifiés pour sa cause ; et, pour terminer la discussion, il déclara qu’il était résolu à s’en remettre aux mains de Dieu pour juger entre son rival et lui. Cependant, afin de concilier autant que possible la prudence avec cette résolution hardie, il appuya son armée aux montagnes qui séparent l’Alava de la province de Burgos, et il en fit occuper tous les cols. Puis, concentrant le gros de ses forces à Zaldiaran, dans une position très forte choisie par Du Guesclin, il attendit que les Anglais essayassent

  1. Ville de la province d’Alava, qu’on ne doit pas confondre avec Salvatierra en Aragon, dont le roi de Navarre s’était emparé en 1364.
  2. Ayala, p. 444.