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qu’inspirait à la noblesse et aux conseils des villes le retour de l’implacable don Pèdre. Rebelle à un roi qui n’avait jamais pardonné, la Castille n’avait plus d’espoir que dans le triomphe du chef qu’elle venait de se choisir. En effet, malgré la détresse générale, les cortès mirent le plus grand empressement à fournir les subsides demandés. Elles votèrent unanimement une nouvelle taxe qui imposait une dîme d’un denier par maravédi sur toutes les ventes. Cet impôt, levé avec rigueur, produisit dans l’année 1366, environ 19 millions de maravédis, somme considérable pour le temps[1]. Il était moins difficile alors de se procurer des soldats que des subsides. La noblesse courut aux armes avec enthousiasme, et toutes les provinces envoyèrent à Burgos de nombreuses recrues. Le souvenir des pillages commis par les aventuriers excitait les paysans à défendre courageusement leurs foyers contre une nouvelle invasion étrangère.

Naturellement affable et courtois, don Henri n’épargnait rien pour se concilier l’affection de ses sujets ; mais la tâche était rude à contenter une noblesse orgueilleuse, d’autant plus exigeante que ses services devenaient plus nécessaires. La susceptibilité des riches-hommes lui donnait sans cesse de graves embarras. Un gentilhomme zamoran, qui s’était rendu à Burgos pour adresser quelque demande au roi, fut rebuté par les huissiers du palais. Furieux de cet affront, il jura de s’en venger. Aussitôt il retourne à Zamora, fait insurger ses concitoyens et proclame don Pèdre. On sait que le château tenait encore pour ce prince ; mais il était en quelque sorte assiégé par la ville, et la garnison était réduite à se tenir sur la défensive. Réunie aux bourgeois, elle fit des courses dans la province, et bientôt donna la main aux mécontens de la Galice. Quelques troupes envoyées de Burgos furent battues, et l’insurrection, redoublant d’audace, fit des progrès rapides dans le nord du royaume de Leon[2].

Dans le désordre général, tous les moyens semblaient bons pour gagner la faveur du peuple et s’assurer son obéissance. On a vu que don Tello, marié à l’héritière de Lara, tenait d’elle en dot la seigneurie de Biscaïe. Cette dame étant morte prisonnière de don Pèdre sans laisser d’enfans, don Henri avait rendu à son frère ce riche héritage, que don Pèdre avait réuni à la couronne. Cette donation avait eu lieu contrairement aux usages de la province et au mépris du vœu exprimé à la diète de Guernica en 1357, où les députés biscaïens avaient choisi le roi de Castille pour leur seigneur. Don Tello n’ignorait pas que son seul titre à la seigneurie de Biscaïe était, aux yeux de ses vassaux, son alliance avec la maison de Lara, et maintenant, cette alliance éteinte, il était douteux qu’ils voulussent confirmer la décision de don Henri.

  1. Ayala, p. 426.
  2. Ibid., p. 429 et suiv.