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III.

Pendant que les préparatifs militaires étaient poussés avec la plus grande activité, en Guyenne, sous les yeux de don Pèdre et du prince de Galles, don Henri convoquait les cortès à Burgos et leur demandait les moyens de résister à l’invasion des Anglais. La situation du nouveau roi était grave, et il ne se faisait pas illusion sur les périls dont il se trouvait entouré. A la veille d’une guerre contre le plus grand capitaine et les meilleurs soldats de l’Europe, il voyait l’insurrection organisée et triomphante dans une de ses provinces. Les exigences des aventuriers et celles de ses riches-hommes avaient épuisé en quelques mois les ressources inespérées qu’il devait à la capture du trésor de don Pèdre. Il ne se dissimulait pas que ses rapides succès étaient en grande partie dus à la lassitude qu’avait fait éprouver à la Castille la longue guerre contre l’Aragon ; maintenant il avait à craindre que les peuples, découragés, ne lui refusassent les sacrifices nouveaux que commandait une guerre beaucoup plus dangereuse. Le plus sincère des alliés de don Henri, le roi de France, était hors d’état de lui prêter des secours bien efficaces, le roi de Navarre le trahissait ouvertement ; enfin le roi d’Aragon, au lieu de lui envoyer des renforts, menaçait de rappeler le marquis de Villena[1] et réclamait impérieusement l’exécution du traité qui devait lui livrer la moitié de la Castille[2]. Consentir à une pareille cession, c’eût été s’exposer à la haine, au mépris, à l’abandon de ses nouveaux sujets. Aussi, tout en prodiguant à Pierre IV les expressions de son respect et de sa reconnaissance, il s’excusa de ne pouvoir lui livrer les provinces qu’il lui avait promises, Encore mal affermi sur le trône, disait-il, il n’osait froisser l’orgueil national, qu’il lui importait tant de ménager. Il fallait attendre que la victoire lui eût rendu un peu de tranquillité, alors il s’empresserait d’accomplir ses promesses. Don Henri refusa encore, et, dans sa position, c’était un acte de courage et de générosité, de livrer à Pierre IV le comte d’Osuna, fils de Bernai de Cabrera, proscrit en Aragon, et naguère au service de don Pèdre[3]. A force de temporisation et d’instances il obtint que Pierre IV ne rappellerait pas le petit corps de troupes aragonaises aux ordres du marquis de Villena, et qu’il continuât à le traiter en allié. C’était un succès important que de montrer à l’Angleterre l’union des deux plus grands royaumes de l’Espagne contre le souverain dépossédé. Mais de tous les auxiliaires de don Henri, le plus puissant c’était la terreur

  1. On a vu que le comte de Denia avait reçu de don Henri ce nouveau titre.
  2. Arch. gen, de Ar. instructions aux ambassadeurs d’Aragon. Sans date ; probablement juillet 1366. Reg. 1293, Secretorum, p. 127.
  3. Id., ibid. — Zurita, t. II, p. 344.