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fait de cette promenade matinale aux environs du château jetait son esprit dans d’involontaires conjectures et ravivait un souvenir qui, depuis plusieurs mois, la préoccupait souvent et troublait profondément son cœur.

Après s’être assurée que nul œil curieux ne s’ouvrait sur elle aux alentours, elle tira un papier de sa poche et le lut lentement. C’était la lettre commencée la veille dans la bibliothèque et qu’elle avait furtivement achevée dans sa chambre, après la visite de M. de Champguérin. La dernière page de cette missive ne présentait pas ces caractères réguliers, ces lignes correctes qu’admirait tant le petit baron ; l’écriture en était inégale, tremblée, et, vers la fin, les mots, presque effacés, tombaient en désordre dans la marge. Clémentine demeura long-temps les yeux baissés sur ce papier, relisant avec émotion ses propres confidences, et répétant tout bas ce passage :

« Oh chère, bien chère Cécile, si tu savais ce qui s’est passé ici aujourd’hui! Je viens de voir une personne qui arrive de Paris, qui est allée peut-être te demander à la grille, qui aurait pu me donner de tes nouvelles, et à laquelle je n’ai pourtant osé faire la moindre question. Cette personne, dont je ne t’ai pas encore parlé, c’est M. de Chamguérin-les-Templiers, un gentilhomme du pays, notre plus proche voisin, car son château est guère qu’à deux lieues de la Roche-Farnoux.

« Lorsque j’arrivai ici au commencement de l’hiver dernier, M. de Champguérin, qui demeure ordinairement à la cour, était en congé dans ses terres. Il avait perdu sa femme depuis quelques mois et le chagrin qu’il ressentait de cette mort le tenait éloigné du monde. Pourtant il paraissait consolé, et avait même quitté son deuil quand je le vis pour la première fois, si bien que j’aurais ignoré qu’il était veuf, si ma tante Joséphine ne lui eût parlé en ma présence de feu Mme Champguérin. D’abord il venait très rarement rendre ses devoirs à mon oncle. Ensuite ses visites devinrent plus fréquentes, et, en vérité, on ne s’ennuyait plus ici quand il y était. Je voudrais bien te faire son portrait, ma chère Cécile ; mais je ne saurais. Il faudrait avoir autant d’esprit que lui pour t’expliquer en quoi consistent l’agrément de sa conversation et l’excellence de son langage. Quant à sa personne. je peux t’en montrer d’ici l’exacte ressemblance. Te rappelles-tu ce grand tableau à l’entrée du cloître qui représente saint George enfonçant son épée dans la gorge du dragon? Eh bien ! c’est la frappante image M. de Champguérin ; ce sont ses grands yeux noirs, son port de tête, son air tranquille et fier. Je n’aurais jamais pensé que le visage d’un homme pût ressembler si parfaitement à celui d’un saint devant lequel on se prosterne et qu’on prie à genoux.

« Durant tout l’hiver dernier, M. de Champguérin ne discontinua point ses visites ; malgré le vent et la pluie, il montait deux fois la