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mouvement qui décelait un certain fiel intérieur, une irritation contenue. –Clémentine, assise près de sa tante, avait les yeux baissés sur l’éventail dont elle ouvrait et refermait machinalement les fragiles bâtons, une secrète émotion précipitait les battemens de son cœur, et, par momens, une rougeur fugitive passait sur sa joue, comme les reflets d’une flamme cachée entre les parois d’un vase d’albâtre. Mme de Barjavel elle-même, cette femme d’une sérénité si froide, semblait avoir perdu quelque chose de son inaltérable tranquillité, elle relevait avec une fierté plus gracieuse son front de reine, et tournait parfois vers la porte un regard presque impatient.

Enfin le pas des chevaux résonna sur le pavé sonore de la grande cour, et, quelques momens après, on annonça M. de Champguérin. À ce nom, le marquis se leva en secouant son immense perruque avança trois pas et s’inclina à plusieurs reprises, tandis que les dames debout à leur place, faisaient une profonde révérence.

M. de Champguérin entra de très bonne grâce et présenta ses respects. — Monsieur, lui répondit le marquis avec de nouvelles révérences, je vous supplie d’agréer mes très humbles services et de me tenir pour l’homme du monde qui vous est le plus passionnément dévoué.

Après avoir débité cette formule de compliment qu’il adressait invariablement depuis trois quarts de siècle à toute personne de qualité, le vieux courtisan reprit sa place, et, montrant à M. de Champguérin le siège le plus. rapproché du sien, il l’invita du geste à s’asseoir, puis, il lui dit d’un ton moins solennel Eh ! eh ! votre arrivée me surprend agréablement ; on ne s’attendait guère ici, monsieur, à l’honneur de votre visite, et même ma nièce de Saint-Elphège a maintes fois pronostiqué que vous ne reviendriez pas avant quelque vingt ans.

— Mademoiselle s’est occupée de moi en mon absence! c’est trop de bonté, et j’en éprouve une sensible joie! s’écria M. de Champguérin avec une affectation de reconnaissance et de respect qui fit jaillir un de colère des yeux de la vieille fille.

— Et je pensais comme ma nièce, continua le marquis ; à votre âge, monsieur, je ne visitais pas si souvent mes domaines. Nous étions tous ainsi de notre temps ; l’air de la province nous paraissait malsain, et il fallait un ordre du roi pour exiler les jeunes gens de la cour.

— Pardonnez-moi, monsieur le marquis, répondit en souriant M. de Champguérin ; mais il me semble qu’il y a bon nombre d’années déjà que je suis en ce monde, et que naturellement je dois être désabusé de tout ce qui séduit les jeunes gens.

À ces mots, il leva machinalement les yeux vers le miroir où se réfléchissait sa belle figure, comme pour constater cependant que les