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II.

Avant de poursuivre ce récit, il est à propos de dire dans quelles circonstances le marquis de Farnoux s’était retiré du monde, et comment il était venu se fixer dans ce vieux château, bâti au milieu d’une contrée déserte et à peu près sauvage.

M. de Farnoux appartenait à une de ces anciennes familles provençales dont la fortune, obérée pendant les guerres civiles, s’était lentement rétablie à la cour. Dans sa première jeunesse, il avait été page de la reine Anne d’Autriche ; plus tard:, il eut une charge qui le plaça près de la personne du roi. Toute sa vie s’était écoulée dans cette haute servitude, et pendant un demi-siècle il en avait accompli les devoirs minutieux avec une si scrupuleuse exactitude, il avait fait si assidûment sa cour, qu’on l’avait surnommé tout d’une voix le parfait courtisan. Il s’était marié jeune encore à une riche héritière, laquelle ne lui donna point d’enfans et mourut en lui laissant de grands biens. La pauvre femme l’avait fort aimé, quoiqu’il lui eut donné beaucoup de rivales, et qu’à l’exemple du roi son maître, il n’eût point fait mystère de ses amours. Ce grand seigneur, cet heureux courtisan était arrivé à l’apogée de sa fortune, lorsqu’il annonça tout à coup la résolution de renoncer au monde. C’était un parti irrévocable, car il déclara en même temps qu’il venait avec l’agrément du roi, de résigner toutes ses charges. On parla tout un jour de cette nouvelle à Versailles ; on fit des conjectures infinies, on tâcha d’expliquer la détermination de M de Farnoux. Les uns l’attribuèrent à quelque diminution dans la faveur du roi, d’autres assurèrent que c’était une conversion, et que le marquis abandonnait la cour pour s’enfermer chez les capucins ; mais un bon gentilhomme, son commensal et son ami lequel avait été comme lui page de la reine. expliquait plus naturellement le fait. Eh! Eh ! disait-il, le digne seigneur s’aperçoit qu’il n’est plus à la fleur de l’âge ; le temps est pas où les dames l’appelaient le beau Farnoux et se disputaient son cœur. Se voyant ainsi sur son déclin, il a sagement résolu de quitter le monde où il a tenu si long-temps une place si haute et si enviée. Ainsi devraient finir tous les courtisans ; il ne leur est pas permis d’avoir le visage ridé et la taille voûtée. En ce pays il faut être toujours jeune. galant, triomphant à la cour, le roi seul peut vieillir.

Le marquis avait deux sœurs dont il ne s’était jamais occupé ni même soucié, car elles ne portaient point le nom de Farnoux, étant nées du second mariage de la marquise douanière, laquelle, âpres quelques années de veuvage, avait épousé un homme de robe. Apres cette espèce de mésalliance, la bonne dame s’était retirée du monde et n’avait revu son fils qu’à de rares intervalles. Le marquis ne s’était point mêlé