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parvint à me surprendre tandis que je considérais ce qu’il appelait mon trésor, et demeura tout confondu en voyant au fond du coffret mes image, mes chapelets et mes agnus.

« Ah ma chère Cécile, combien la vie du monde est différente de la vie du couvent ! Ne t’imagine pas toutefois que tout est dissipation et vanité autour de moi, que j’ai beaucoup de divertissemens, et que l’on voit ici grande compagnie. C’est tout le contraire ; il venait plus de visites en un jour dans le parloir de notre maison qu’on n’en reçoit ici dans toute l’année. Ne va pas croire non plus que j’habite une jolie maison de campagne entourée d’arbres, de prairies et de parterres où coulent des fontaines. Le château de Farnoux est situé sur un rocher où il n’y a pas un brin de verdure, et l’on y mourrait certainement de soif, si on n’avait la précaution de garder dans une citerne l’eau qui tombe du ciel. C’est comme une Thébaïde, et sans doute le désert où vécut le grand saint Antoine n’avait pas un aspect plus aride et plus désolé que les environs de la Roche-Farnoux. Le château n’est pas régulièrement bâti comme notre couvent ; il ressemble à une forteresse. L’architecture en est fort ancienne à ce que l’on dit, et c’est pour cela qu’il y a des murailles si hautes, des fenêtres si petites, des passages si sombres et des escaliers si étroits. L’enceinte en est si vaste, que je n’ose m’aventurer toute seule à travers les corridors. Il y a au rez-de-chaussée de grandes salles inhabitées depuis cent ans et plus, où je ne suis jamais entrée… »

— Parce que tu es toujours transite de peur, dit Antonin en s’interrompant ; il te semble à chaque détour que tu vas rencontrer l’homme noir ou la Tarasque…

— Je suis revenue de ces enfantillages, répondit la jeune fille en tâchant de sourire.

— Cependant tu ne te hasarderais pas à aller, la nuit, toute seule, continua le petit baron ; tu aurais peur de rencontrer un revenant. En ce moment même, tu n’es pas tout-à-fait rassurée, et tu n’oses rester ici sans moi. Eh! eh! ce n’est pas sans raison ; tu pourrais voir des choses terribles chacun sait que les esprits hantent volontiers les vieux châteaux, et qu’ils se montrent de préférence sur le minuit.

— Tais-toi, Antonin, tais-toi, interrompit-elle avec un tressaillement involontaire ; ne parlons pas de cela ; il me semble que je vais avoir peur…

— Et tu dis que tu n’es plus une petite fille s’écria le malicieux garçon en riant aux éclats ; voyez un peu cette grande demoiselle qui a peur des loup-garoux, à dix-sept ans passés!

— Eh bien ! oui, je ne suis qu’une enfant, une enfant comme toi, répliqua-t-elle, piquée ; et retirant sa lettre, elle ajouta : C’est ennuyeux de passer son temps à lire comme les grandes personnes ; veux-tu jouer aux osselets, mon petit cousin?