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matière à une infinité de remarques pour les définitions précises et pour les fines nuances des mots en usage dans le langage poli. Le chevalier est tout-à-fait un écrivain. Son style a de la manière ; mais, entre les styles maniérés d’alors, c’est un des plus distingués, des plus marqués au coin de la propriété et de la justesse des termes. Il avait le sentiment du mieux et de la perfection dans l’expression, même en causant. Il aimait les choses bien prises. J’ai dit qu’il était précieux ; il se sépare pourtant, par plus d’un endroit, des précieuses. « Quelques dames qui ont l’esprit admirable, écrit-il, et qui s’en devroient servir pour rendre justice à chaque chose, condamnent des mots qui sont fort bons, et dont il est presque impossible de se passer. Les personnes qui en usent trop souvent, et d’ordinaire pour ne rien dire, leur ont donné cette aversion ; mais, encore qu’il se faille soumettre au jugement et même à l’aversion de ces dames, je crois pourtant que l’on ne feroit pas mal de s’en rapporter quelquefois à tant d’excellents hommes qui jugent sainement et sans caprice, et qui sont assemblés depuis si long-temps pour décider du langage. » Il aurait eu voix au chapitre en bien des cas, s’il avait siégé parmi ces excellens hommes. Encore aujourd’hui, s’il s’agissait de bien fixer le moment où le terme d’urbanité, par exemple, fut introduit, non sans quelque difficulté, dans la langue du monde, à quel témoignage pourrait-on recourir plus sûrement qu’à celui du chevalier, qui, dans une lettre à la maréchale de ***, écrivait : « J’espère, madame, qu’enfin vous donnerez cours à ce nouveau mot d’urbanité que Balzac, avec sa grande éloquence, ne put mettre en usage, car vous l’employez quelquefois… Il me semble que cette urbanité n’est point ce qu’on appelle de bons mots, et qu’elle consiste en je ne sais quoi de civil et de poli, je ne sais quoi de railleur et de flatteur tout ensemble. » Nous avons déjà au passage noté de ces locutions qu’il affectionne et qui avaient cours autour de lui : dire des choses ; faire l’esprit. Ce sont des gallicismes attiques. Mme de Sablé usait volontiers de la première de ces expressions, dire des choses, donnant à entendre que la manière relève tout et fait tout passer ; c’était sentir d’avance comme Voltaire :

La grace, en s’exprimant, vaut mieux que ce qu’on dit.


Quant à cet autre mot : faire l’esprit, il était du maréchal de Clérembaut, et le chevalier le confirme aussitôt et l’explique de la sorte : « Je me souviens de quelques bons maîtres qui montroient les exercices dans une si grande justesse qu’il n’y avoit rien de défectueux ni de superflu ; pas un temps de perdu, ni le moindre mouvement qui ne servît à l’action. Ces maîtres me disoient que, si une fois on a le corps fait, le reste ne coûte plus guère. Il me semble aussi que ceux qui ont l’esprit fait entendent tout ce qu’on dit, et qu’il ne leur faut plus après