Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/397

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

- Le public philosophique apprendra avec intérêt que M. Cousin vient de réunir dans un cadre régulier et de fixer sous une forme définitive[1] le vaste ensemble de fragmens composés aux différentes époques de son active et glorieuse carrière, et qui touchent aux points les plus délicats de l’histoire de la pensée spéculative. On reconnaît partout, dans ces divers morceaux, le caractère d’un penseur qui ne cultive point l’érudition pour elle-même, mais qui entreprend de donner à l’histoire de la philosophie la valeur et la portée d’une science, et d’asseoir une école nouvelle sur la base d’une critique approfondie de tous les systèmes du passé. Tout le monde connaît le grand morceau sur Abélard, où sont débrouillées pour la première fois les obscures origines de la scolastique et qui restera le point de départ et le modèle de tous les travaux que la philosophie du moyen-âge attend encore. Les articles célèbres sur Xénophane et Zénon d’Elée portent la lumière sur le berceau même de la pensée humaine ; on ne peut trop y admirer un genre de critique et d’érudition que la France ne sera point accusée d’avoir dérobé à l’Allemagne ; je parle de cette érudition forte et sobre, plus occupée de bien user de ses ressources que de les étaler, qui ne se borne point à entasser les textes, mais qui les interprète, et sait aussi, en les interprétant, se défendre des vaines conjectures et des fantastiques analogies ; je parle de cette critique à la fois sévère et élevée, également propre à déchiffrer une date incertaine et à semer les grandes vues, et qui possède enfin l’art merveilleux d’animer les recherches les plus arides par le feu de l’imagination, par la grace et la majesté d’un beau langage. Il faut citer encore, parmi les fragmens qui se rapportent à la philosophie contemporaine, les jugemens portés sur Laromiguière et Maine de Biran. M. Cousin ne cède point à l’attrait banal du plaisir facile et puéril de critiquer ses maîtres ; il se complaît à mettre au grand jour leurs pensées les plus originales, ce qui ne l’empêche pas d’user des droits d’une sérieuse discussion, toujours libre dans sa déférence respectueuse et dans sa loyale équité. D’autres fragmens, moins étendus, méritaient cependant de prendre place à côté de ces grands morceaux. M. Cousin les a soumis à un triage sévère, et nous croyons qu’il a bien fait de retrancher tous les articles qui n’avaient qu’un intérêt de circonstance. On peut dire que tout ce qui reste est digne de l’histoire.

La publication que nous annonçons aujourd’hui est le complément naturel et nécessaire des deux séries de cours où M. Cousin a récemment réuni toutes les parties de son enseignement. Ces diverses leçons, si l’on excepte celles qui sont consacrées aux systèmes de Locke, de Reid et de Kant, contiennent surtout des vues générales sur la philosophie et sur son histoire. Le second volume de la deuxième série pose les fondemens d’une histoire universelle de la philosophie ; il détermine les lois de la formation successive ou simultanée des systèmes, de leur progrès continu ou de leur retour nécessaire ; il peint, ou plutôt il esquisse toutes les grandes époques, toutes les grandes doctrines, toutes les grandes figures philosophiques. M. Cousin, on le sait, a donné à cette noble étude de l’histoire de la pensée humaine une impulsion qui ne s’arrêtera point ; mais, il faut en convenir, à côté des principes manquaient souvent les applications et ces

  1. Fragmens philosophiques, pour faire suite au cours de l’histoire de la philosophie, par M. Victor Cousin, 4 vol, in-18, chez Ladrange, quai des Augustins, 19.