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avec infiniment d’art et de logique la substance des dépêches qui ont été communiquées aux chambres.

La publication de ces pièces nous parait de nature à justifier la marche que le gouvernement a suivie dans cette longue et difficile affaire. En dernier résultat, il se trouve que, s’il n’y a pas eu en Suisse d’intervention armée, c’est à lui qu’on le doit. On aura la ressource de dire que ce résultat n’était pas celui qu’il cherchait ; mais, en lisant attentivement la correspondance de M. Guizot, on verra cependant que, s’il considérait le triomphe du parti radical en Suisse comme un grand mal, il regardait comme un mal plus grand encore une intervention armée qui aurait gravement compromis la paix générale. Il ressort évidemment des pièces communiquées aux chambres que, sans les remontrances, sans la résistance même du gouvernement français, le gouvernement autrichien aurait pris des mesures actives contre le parti dominant dans la diète long-temps avant qu’elles eussent été provoquées par des hostilités ouvertes, et aurait, pour prévenir une guerre civile en Suisse, risqué une guerre générale en Europe. Ainsi, dès le mois d’octobre 1846, M. de Metternich, alarmé par la révolution de Genève, exprimait sa conviction qu’une intervention étrangère deviendrait tôt ou tard légitime et nécessaire, et M. Guizot, de son côté, objectait qu’une pareille mesure, sans une nécessité évidente et impérieuse, ne résoudrait rien et serait mal accueillie par les deux partis rivaux qui se partageaient la confédération. Plus tard, au mois de juin 1847, quand la rupture de la paix entre les cantons semblait devenir de plus en plus inévitable, M. de Metternich voulait encore aller au-devant de l’événement, et faisait faire au cabinet français des propositions plus formelles. Il proposait qu’avant que la diète s’engageât par un vote, les puissances prissent les devans pour l’arrêter, et déclarassent officiellement qu’elles ne souffriraient pas que le principe de la souveraineté cantonale fût violé, ou que l’état de paix matérielle fût troublé, de quelque côté que dût venir l’agression. M. de Metternich se disait convaincu que cette seule déclaration suffirait pour arrêter la diète et pour contenir le parti radical ; mais cette démarche que suggérait le cabinet autrichien renfermait un grave péril : elle engageait nécessairement les puissances dans la voie de l’intervention armée. M. Guizot jugeait avec raison que poser un pareil ultimatum, c’était s’enlever toute liberté d’action, et que, si la diète ne s’arrêtait pas d’elle-même, les puissances s’obligeaient d’avance à l’arrêter par la force. Pour qu’une intervention armée fût suffisamment justifiée, il fallait que la Suisse rompit la première les liens qui l’attachaient à l’Europe et les traités qui lui garantissaient la neutralité et l’inviolabilité. Or, la Suisse n’en était pas encore là, et M. Guizot, se basant sur ces principes, déclarait même au cabinet autrichien que, s’il croyait devoir agir de concert seulement avec les deux autres cours du Nord, le gouvernement français serait, de son côté, obligé de prendre les mesures nécessaires pour s’opposer à cette intervention. Cette déclaration est formulée, dans la dépêche du 25 juin, en des termes très nets, et elle suffirait seule pour montrer que le gouvernement français, loin de se mettre, comme on l’a prétendu, à la remorque du cabinet autrichien, a mis dès le principe une barrière à son intervention.

Toutefois M. Guizot ne se refusait pas à faire une démarche collective pour prévenir la diète des conséquences qui résulteraient de toute atteinte portée par