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un théâtre d’amateurs, et puis sur celui de Brescia. Elle vint à Paris pour la première fois en 1816, et y passa entièrement inaperçue. Ce ne fut qu’à partir de l’année 1822 que la réputation de Mme Pasta se répandit en Europe. Belle, intelligente, passionnée, M Pasta suppléa aux imperfections de son organe par un travail incessant, par un style noble, tendre et savant. Tragédienne de premier ordre, dont Talma lui-même admirait le geste élégant et vrai, Mme Pasta soumettait ses moindres inspirations au contrôle d’un goût épuré, et ne livrait rien à l’aventure. Ses intonations et ses pauses étaient combinées d’avance. Personne n’a chanté à Paris le rôle de Tancrède comme Mme Pasta. Elle fut sublime dans celui de Roméo de Zingarelli, et, dans la Nina de Paisiello, elle rappela la célèbre Coltellini et les prodiges du grand siècle de l’art.

On sait que des qualités tout opposées ont placé Mme Malibran au premier rang des grandes cantatrices dramatiques du XIXe siècle. La fille du ténor Garcia avait reçu avec la vie tout un héritage de passions. Douée d’une voix étendue et nerveuse qui allait jusqu’à l’ut aigu des soprani et descendait au fa des contralti, elle ne rencontrait aucune difficulté au-dessus de son audace et de sa merveilleuse facilité. Elle chantait tous les rôles et tous les genres ; sémillante dans celui de Rosina du Barbier de Séville, passionnée dans celui de Desdemona d’Otello, elle eut l’ambition, la fougue, l’éclat et les inégalités du génie. Tel qu’il est toutefois, son talent résume admirablement les instincts les plus divers, les facultés les plus rares des grands chanteurs de l’Italie. Il n’a été donné à personne d’unir avec autant d’éclat et de spontanéité la passion tragique et la verve bouffonne. Dans cette singulière dualité résident l’originalité de Mme Malibran et son vrai titre à la gloire.

Une vive impulsion donnée à la musique bouffe, les bases de l’interprétation des chefs-d’œuvre de la musique tragique jetées avec éclat et puissance, tels sont, nous venons de le voir, les grands résultats qui assignent à quelques cantatrices modernes une place toute particulière dans les annales de l’art italien. Aujourd’hui il n’y a plus, en quelque sorte, le même rôle à remplir. Ce n’est plus l’épanouissement d’une grande école qu’il s’agit de seconder ; cette école s’est formée, elle a donné ses chefs-d’œuvre, sa révolution est accomplie ; nais à ce mouvement si fécond a succédé une réaction fâcheuse : le culte de l’instrumentation tend partout à remplacer celui du chant. L’interprétation des chefs-d’œuvre du commencement de ce siècle retrouve, en présence de ces tentatives, une sorte d’à-propos ; seulement elle est moins favorisée par les sympathies générales. Il s’agit de lutter, au nom des plus belles traditions de l’art, contre ce qu’on cherche à leur substituer. La mission du chanteur devient plus difficile, mais aussi elle gagne en importance. Jamais la situation musicale n’a exigé plus impérieusement que l’art du chant trouvât dans des talens d’élite des défenseurs inspirés ; jamais aussi l’orchestre n’a disputé plus énergiquement à la mélodie la place que les compositeurs italiens du XVIIIe siècle lui avaient conquise. C’est au milieu d’une telle situation que s’est présentée à nous une cantatrice héritière de la méthode qui a illustré, depuis la création même du drame lyrique, tant de virtuoses italiens. On comprend quelle curiosité et quel intérêt ont dû se porter sur les débuts de Mlle Alboni.

Rossini, qui n’aurait pas dédaigné de surveiller l’éducation musicale de la jeune cantatrice, lui aurait répété, assure-t-on, en l’engageant à aborder la