Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/356

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à cheval, sortit presque furtivement de Séville avec les deux infantes Constance et Isabelle, et une fille naturelle de don Henri, qu’il gardait auprès de lui comme un otage depuis plusieurs années. Il était suivi du maître d’Alcantara, Martin Lopez, de son chancelier et de quelques chevaliers de sa maison. On dit que, malgré sa triste opinion de l’inconstance des hommes, il ne put s’empêcher de témoigner amèrement sa surprise en voyant le petit nombre de serviteurs qui s’associaient à sa fortune. Il eût été imprudent d’ailleurs d’attendre plus long-temps les amis fidèles qu’il pouvait laisser en arrière ; car à peine était-il sorti de l’Alcazar, que la populace enfonça les portes et mit tout au pillage[1]. Pendant qu’il s’éloignait à la hâte, son amiral, le Génois Boccanegra, descendait le Guadalquivir avec quelques galères, et cinglait vers les côtes de Portugal. Il venait de quitter le royaume de Valence sur l’ordre du roi, et, l’ayant rejoint à Tolède, il l’avait accompagné jusqu’à Séville. Là finit son dévouement. Maintenant il voulait se concilier les bonnes graces du maître que l’on attendait, et, pour première preuve de son nouveau zèle, il se mit à la poursuite du vaisseau qui portait Martin Yanez et le trésor de don Pèdre. Il l’atteignit dans les eaux de Tavira, et le captura sans peine ; peut-être, comme on le soupçonna depuis, Yanez était-il d’accord avec le Génois pour se laisser prendre[2].

Malgré ses inquiétudes sur le sort du navire chargé de ses dernières ressources, don Pèdre, au lieu de gagner Tariva, ne chercha qu’à se rapprocher au plus vite du roi de Portugal, qui se trouvait alors au château de Vallada, près de Santarem. Il ne tarda pas à connaître l’accueil qui l’attendait sur la terre étrangère. A Coruche, sur la rive gauche de la Guadiana, il rencontra sa fille doña Beatriz, que lui renvoyait ignominieusement cet allié dans lequel il mettait toute son espérance. Sans prendre la peine de colorer son manque de foi, le roi de Portugal faisait reconduire la jeune princesse hors de ses états avec cette réponse : « Que l’infant don Fernand ne voulait plus l’épouser[3]. » Presque en même temps un seigneur portugais vint lui signifier, de la part de son maître, qu’on ne pouvait le recevoir à Santarem, ni lui donner un asile en Portugal. On dit que don Pèdre écouta ce message d’un air sombre, sans répondre une parole. Puis, demeuré seul avec un des chevaliers de sa suite, il fouilla dans son escarcelle, en retira quelques pièces d’or, et les jeta par-dessus le toit de la maison où il s’était arrêté. Surpris de cette action, le chevalier lui représenta qu’il ferait mieux de donner cet or à quelqu’un de ses serviteurs, au lieu

  1. Ayala, p. 413. Abr.
  2. Ayala, p. 414.
  3. Id., ibid. — Gfr. Duarte do Liao, Chronicas dos rois de Portugal, p. 222 et suiv.