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que nous nous vissions en telle nécessité que résister fût impossible, veuillez, par avance, nous relever du serment de foi et hommage que nous vous avons prêté. Nous vous le demandons une fois, deux fois, trois fois. » - « J’y consens, » dit le roi. Sur-le-champ un notaire prit acte de cette déclaration. Puis un des trésoriers demanda ce qu’il fallait faire des sommes confiées à sa garde et déposées dans le château. — « Défendez le château, » s’écria le roi sautant à cheval. — « Mais, si la ville est prise, le château ne peut se défendre !… » Sans daigner répondre, le roi piqua des deux, suivi des cavaliers grenadins, les seules troupes à la fidélité desquelles il se fiât encore[1].

Parmi les riches-hommes réunis à Burgos, un bien petit nombre l’accompagna dans sa retraite[2] ; la plupart demeurèrent dans la ville ou aux environs pour attendre l’événement, ou plutôt s’occupèrent dès-lors de traiter avec don Henri aux conditions les plus avantageuses. En voyant le roi s’abandonner lui-même, le découragement s’était emparé de ses plus fidèles serviteurs. Les commandans des places situées en avant de Burgos croyaient faire preuve de dévouement en abandonnant leurs remparts pour suivre leur maître dans sa fuite ; mais le plus grand nombre se déclarait pour le vainqueur. Tous les ponts-levis s’abaissaient devant la bannière de Castille portée par les aventuriers, et il avait suffi au prétendant de se montrer pour enlever au roi légitime la moitié de ses états.

Au moment où don Henri passait la frontière, don Pèdre avait dépêché des courriers à tous les gouverneurs des places conquises en Aragon, et surtout dans le royaume de Valence, avec ordre de les évacuer au plus vite, de brûler les maisons, de démanteler les fortifications s’ils le pouvaient, et de le rejoindre avec tous leurs soldats. Le rendez-vous qu’il leur assigna était Tolède ; car il conservait encore l’espoir d’arrêter l’ennemi aux passages des montagnes qui divisent les deux Castilles. Autant que l’on peut juger de son plan aujourd’hui, il se flattait qu’en cédant du terrain à son adversaire, en l’attirant pour ainsi dire au cœur de ses états, il pourrait le détruire par cette guerre de chicane qui lui était familière, et il comptait sur l’intempérie du climat, la fatigue et la misère, pour dégoûter les aventuriers et priver don Henri de ses principales forces. Telle a été souvent la tactique des généraux espagnols, toujours couronnée de succès, lorsque le peuple s’est déclaré contre les envahisseurs. Mais la cause de don Pèdre n’était pas soutenue par l’opinion nationale, et il ne tarda pas à reconnaître qu’il ne devait plus compter sur ses sujets. En recevant ses lettres, quelques-uns de ses capitaines, il est vrai, gagnèrent à la hâte la Castille

  1. Ayala, p. 402 et suiv.
  2. Pero Lopez Ayala suivit le roi jusqu’à Tolède. Ayala, p. 404.