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renouvelées bientôt après, et tout aussi inutilement, par Iñigo Lopez de Orozco, qui vint lui porter des propositions formelles de la part de plusieurs chefs anglais[1]. Cependant les caisses du roi étaient pleines, et c’était alors le seul avantage qu’il eût sur ses ennemis. On a peine à concevoir un tel aveuglement d’un prince qui mesurait cependant toute la grandeur du péril.

L’hiver, en retardant l’ouverture de la campagne, avait retenu les aventuriers sur le territoire aragonais assez long-temps pour que leurs hôtes sentissent cruellement le fardeau de leur présence. Leurs excès furieux attiraient des représailles, et les montagnards belliqueux de l’Aragon et de la Navarre répondaient à leurs pillages en attaquant leurs convois et en massacrant leurs traînards[2]. Il était temps de lancer enfin cette horde détestée sur le pays ennemi.

Au commencement de mars 1366, sir Hugh de Calverly commença le premier les hostilités en attaquant Borja, ville d’Aragon occupée depuis long-temps par les troupes de Castille[3]. A l’approche de l’avant-garde anglaise, la garnison abandonna la place en toute hâte, entraînant dans sa fuite un corps considérable de troupes castillannes cantonnées à Magalon. Après ce facile succès, toute l’armée de don Henri se mit en mouvement ; elle entra sans obstacle en Navarre, y traversa l’Èbre et franchit la frontière de Castille au milieu de mars, non loin d’Alfaro. Sans s’amuser au siége de cette forte place, gardée par Iñigo de Orozco, elle se dirigea rapidement sur Calahorra, ville plus considérable, mais médiocrement fortifiée. Là, les partisans de don Henri s’étaient donné rendez-vous et s’apprêtaient à l’accueillir. Don Fernand de Tovar, l’évêque de Calahorra et quelques autres riches-hommes, chargés par don Pèdre de mettre cette place en état de défense, furent les premiers à en ouvrir les portes aussitôt que parurent les bannières ennemies[4].

Cette première défection était grave ; elle prouvait combien don Pèdre était détesté. C’était à Calahorra que don Henri devait afficher publiquement ses prétentions. La scène était préparée, les rôles appris d’avance. Il s’agissait de donner solennellement la couronne au chef de la grande compagnie. Bertrand Du Guesclin au nom des Français, sir Hugh au nom des Anglais, le comte de Denia, chef des Aragonais auxiliaires,

  1. Ayala, p. 397 et 405.
  2. Arch. gen. de Ar. Mandement du roi d’Aragon pour repeupler le bourg de Pina saccagé (barreyado) par les compagnies de France. Saragosse, 24 février 1366. Reg. 1213 Sigilli secr., p. 15. — Ordre du roi pour faire rendre au comte d’Urgell cinquante bêtes à cornes enlevées par les habitans de Perthusa sur les Français qui les avaient prises à Antillon, domaine de ce comte. Saragosse, 5 mars 1366. Ibid., p. 24. — Appendice.
  3. Ayala, p. 400.
  4. Id., ibid.