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foi, ils méritaient bien les secours de l’église. Du Guesclin lui représenta tout le danger que courait le saint-père s’il différait de solder la contribution demandée. « Nos gens, dit-il, sont devenus prud’hommes malgré eux, et bien facilement ils retourneraient à leur ancien métier. » Malgré l’imminence du péril, le pape voulut essayer le pouvoir des foudres apostoliques, et résista quelque temps ; mais il reconnut bientôt qu’il ne faisait qu’irriter l’audace des bandits campés à ses portes. Des fenêtres de son palais il voyait les maisons de plaisance et les métairies de Villeneuve livrées au pillage. Déjà s’allumaient des incendies. A chaque instant les aventuriers menaçaient d’attaquer le pont Saint-Bénézet, ou, passant le fleuve sur des barques, de se répandre dans les riches campagnes d’Avignon. Cependant Du Guesclin répondait aux plaintes qu’on lui adressait de toutes parts : « Que voulez-vous ? mes soldats sont excommuniés. Ils ont le diable au corps, et nous n’en sommes plus les maîtres. » Bientôt on ne disputa plus que sur le montant de la contribution, et, après quelques pourparlers, les chefs de la compagnie blanche voulurent bien se contenter de 5,000 florins d’or. Les bourgeois d’Avignon s’empressèrent d’avancer la plus grande partie de cette somme, qui peut-être ne leur fut jamais remboursée[1]. Absous et chargés de butin, les aventuriers s’éloignèrent gaiement en célébrant les louanges de leur nouveau capitaine. Tels furent leurs adieux à la France.


III.

Cependant les négociations continuaient avec beaucoup d’activité entre les rois d’Aragon et de Navarre. Jusqu’au dernier moment, Charles protestait contre l’entrée de la compagnie en Espagne. En France, il

  1. L’auteur de la chronique en vers de Du Guesclin raconte cet exploit de son héros avec la malignité ordinaire aux poètes du moyen-âge, toujours pleins d’irrévérence contre l’église. Suivant cette version, adoptée sans examen par l’histoire, Du Guesclin aurait exigé que la contribution entière fût soldée par le trésor apostolique, disant qu’il n’allait pas se battre pour les intérêts des bourgeois d’Avignon, mais bien pour ceux du saint-père. Rien de moins fondé. Il résulte d’une requête manuscrite du conseil municipal d’Avignon, conservée dans les archives de la préfecture de Vaucluse, que la rançon du territoire de l’église fut acceptée par Du Guesclin sans qu’il fit la moindre observation sur son origine. Mais il paraît que, dans la suite, le cardinal de Jérusalem, vicaire d’Avignon, prétendit mettre à la charge de la ville les 5,000 florins payés aux aventuriers, bien qu’elle ne se fût engagée, dans le principe, à contribuer que pour une somme de 1,500 florins. C’est du moins ce que j’ai cru comprendre dans cette pièce fort obscure par sa détestable latinité. J’en dois la communication à l’obligeance de M. Achard, archiviste de Vaucluse, qui l’a découverte et a bien voulu me permettre de la publier. Il n’a pu trouver aucun renseignement sur le résultat de la réclamation présentée au saint-père. — Cfr. Nostre-Dame, Hist. de Provence, p. 422. — Chron. de Du Guesclin, v. 7693-7724. — Appendice.