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pareilles recrues ne les ramenât bientôt à leur ancien genre de vie. Il se hâta donc de les diriger vers le midi de la France. Sur leurs bannières et leurs soubrevestes des croix étaient peintes, et il publiait qu’il les menait en Chypre contre les Sarrasins[1]. Sans doute il n’espérait pas donner le change au roi de Castille ; mais probablement il avait voulu fournir aux capitaines anglais un prétexte pour demeurer sous sa bannière, car il était bruit que le prince de Galles, aux termes de son traité avec don Pèdre, allait interdire à ses sujets de porter les armes contre un souverain allié de l’Angleterre[2]. Au reste toute l’armée connaissait déjà le but de l’expédition, et, malgré les croix arborées sur ses enseignes, elle pensait beaucoup plus à faire du butin qu’à gagner des indulgences.

Ces nouveaux croisés, aussi redoutables aux églises qu’aux châteaux et aux chaumières, se trouvaient encore sous le poids d’une excommunication lancée par le saint-siège. Il fallait les relever de cet anathème avant de les mener dans un pays où ils prétendaient soutenir la cause de la religion ; aussi leur général voulait en passant demander une absolution au pape. Mais il avait encore un autre dessein. Convaincu que ses soldats ne se montreraient dociles que s’ils étaient bien payés, il se proposait de remplir sa caisse militaire aux dépens du trésor apostolique. Vers la fin de l’année 1365, les habitans de Villeneuve-lès-Avignon virent avec effroi la compagnie blanche asseoir son camp devant leurs remparts. L’alarme fut grande à la cour du saint-père. Aussitôt il dépêcha aux chefs des aventuriers pour leur intimer l’ordre d’évacuer le territoire de l’église, sous promesse de les relever de l’excommunication qu’ils avaient encourue. La mission avait ses dangers, et ce ne fut pas sans hésitation que le cardinal de Jérusalem consentit à s’en charger. A peine eut-il traversé le Rhône qu’il se trouva en présence d’une troupe d’archers anglais qui lui demandèrent avec insolence s’il leur apportait de l’argent[3] ? « De l’argent ! » criaient une foule de soldats farouches accourus sur son passage. Conduit à la tente de Du Guesclin, le cardinal fut accueilli avec la plus grande politesse ; mais on lui signifia que la compagnie ne quitterait la terre papale qu’après avoir reçu un subside considérable. Quelques chefs exprimaient leur regret d’élever de pareilles prétentions et protestaient de leur respect pour l’église ; mais ils avouaient qu’ils n’avaient pas d’autorité sur leurs troupes. D’autres, raillant sans pitié le cardinal, lui disaient que, prêts à exposer leurs vies pour la plus grande gloire de la

  1. Chron. de Du Guesclin, v. 7549 et suiv.
  2. Rynier, De impediendo soldarios qui in comitiva se ponunt, ne ingrediantur in Hispaniam. 6 décembre 1365.
  3. Bien soyez-vous venus, apportez-vous argent ?
    Chron. de Du Guesclin, v. 7510.