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de faire la guerre en prud’hommes, suivant les principes. Le reproche de don Pèdre piqua au vif le roi d’Aragon, et il s’empressa d’y répondre par un cartel en forme, offrant au roi de Castille de se présenter à jour fixe, avec toutes ses forces, dans une plaine désignée entre Murviedro et Valence, pour y vider leur querelle dans un seul combat[1]. De fait, au jour indiqué, il s’avança jusqu’à une lieue de Murviedro et attendit son adversaire en ordre de bataille ; mais don Pèdre ne tint pas plus compte de cette bravade que du défi qui l’avait précédée.


II.

Pendant douze jours, les deux armées demeurèrent dans l’inaction les Aragonais à Valence, les Castillans à Murviedro. Enfin on signala la flotte de Castille forte de quatre-vingts voiles, dont vingt galères de Séville, dix de Portugal, et le reste vaisseaux de transport. Aussitôt don Pèdre, laissant toute sa cavalerie dans son camp, s’embarqua avec l’élite de ses arbalétriers, et fit voguer contre la flotte ennemie. Celle-ci, inférieure en nombre, s’était réfugiée dans le Xucar près de Cullera. L’embouchure étroite de la rivière, les retranchemens qui la défendaient, enfin la présence de Pierre IV et de toute son armée bordant le rivage, ne permettaient pas aux Castillans de tenter une attaque de vive force. Quelques jours se passèrent en reconnaissances, en escarmouches, en efforts inutiles pour attirer l’ennemi au combat ou pour forcer l’entrée de la rivière. Don Pèdre, pour bloquer plus étroitement la flotte aragonaise, fit couler dans le chenal trois de ses navires[2]. Il ne quittait pas son vaisseau et surveillait lui-même, avec son activité ordinaire, les mouvemens de l’ennemi. Tout à coup un vent d’est violent mit sa flotte dans le plus grand danger d’être jetée à la côte. Les pilotes pratiques de ces parages désespéraient de pouvoir résister à la tourmente. A chaque instant, les Aragonais, accourus sur la grève, s’attendaient à voir le roi de Castille tomber entre leurs mains. Sa capitane, mouillée fort près de terre, était plus exposée que le reste de ses navires. Du rivage, on suivait ses manœuvres de détresse ; lui-même, pendant tout un jour, put voir ses ennemis lui préparer des fers. Successivement, son vaisseau perdit trois ancres dont les câbles rompirent. Une quatrième ancre résista par fortune et le sauva. Vers le coucher du soleil, le vent tomba, et la flotte castillanne, malgré ses avaries, parvint à profiter de l’embellie pour gagner le large. Au plus fort de la tempête, don Pèdre avait fait vœu, s’il échappait à la furie de la mer, d’aller en pèlerinage à l’église de Notre-Dame del Puch, voisine

  1. Carbonell, p. 192.
  2. Feliù, An. de Catalaña, t. II, p. 280.