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et plusieurs jeunes enfans des premières familles de son royaume. Le comte de Trastamare exigea en outre que tous les seigneurs navarrais prêtassent serment sur l’eucharistie de l’accompagner dans son expédition en Castille et de le servir fidèlement, à peine d’être déclarés infames et traîtres[1].

Malgré tant de sermens, tant de minutieuses précautions, le traité de Sos eut le sort de tant de conventions qui l’avaient précédé. Le roi d’Aragon ne fournit point de subsides et le roi de Navarre continua d’observer la neutralité. Quant à don Henri, seul il gagnait à ces négociations, où il était traité en souverain. Les concessions qu’on lui demandait lui coûtaient peu, car il donnait ce qu’il ne possédait pas encore. En retour, il obtenait du roi d’Aragon le sacrifice du seul homme qui pût encore déjouer ses projets ambitieux. La perte de Bernal de Cabrera fut résolue à Sos et bientôt après accomplie.

Le refus plus ou moins adroitement dissimulé de livrer son petit-fils en otage n’était pas la première marque qu’il eût donnée de son opposition à l’agrandissement du comte de Trastamare. Il n’avait jamais cessé de conseiller au roi de lui retirer sa protection et de faire une paix sincère avec la Castille. Même en ce moment, Cabrera la croyait encore possible. D’ordinaire les despotes voient avec plaisir les rivalités de leurs vassaux : la jalousie et la haine de leurs courtisans leur font quelquefois connaître la vérité. Tout en suivant les conseils de don Henri, Pierre IV eût peut-être continué à ménager Cabrera, si la haine du bâtard n’eût été puissamment secondée par le roi de Navarre, par la reine d’Aragon et par une grande partie des sujets de Pierre IV. Les Catalans surtout, irrités de longue main par l’administration partiale et tyrannique de Cabrera, refusèrent au roi de lui accorder des subsides, s’il ne faisait justice d’un ministre abhorré[2]. Seul contre tous, n’ayant d’autre appui qu’un maître ingrat et sans cœur, Cabrera, sentant son crédit s’affaiblir de jour en jour, avait à plusieurs reprises témoigné le désir d’abandonner le timon des affaires. Il annonçait l’intention de résigner tous ses emplois et de finir sa vie dans la retraite. Peut-être n’était-il pas sincère, en offrant ainsi de laisser le champ libre à ses ennemis. À cette époque, il était rare qu’une pareille renonciation ne fût le prélude d’une révolte ouverte, et les rois du XIVe siècle avaient accoutumé de n’éloigner un ministre de leurs conseils que pour l’envoyer à l’échafaud. Pierre IV refusa d’accepter la résignation de Cabrera. A plusieurs reprises, il l’assura de la continuation de ses bonnes graces, A force de promesses et de flatteries, il parvint à tromper

  1. Je rapporte, d’après Zurita, le traité de Sos, dont je n’ai pu trouver aucune trace dans les archives d’Aragon. D’après cet annaliste, toujours si exact, le traité de Sos aurait eu lieu le 2 mars 1364. Zurita, t. II, p. 327 et suiv.
  2. Zurita, t. II, p. 335.