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désert quand le roi la quitta pour se porter au devant de l’armée aragonaise. Elle était forte de trois mille hommes d’armes, commandés par Pierre IV en personne, avant sous ses ordres les bannières du comte de Trastamare, de l’infant don Fernand, de don Tello et de don Sanche. Peut-être alors l’armée castillanne se trouvait-elle inférieure en nombre. Au lieu d’offrir la bataille, don Pèdre fit ses dispositions pour la recevoir et se retrancha dans une forte position au pied des remparts de Murviedro. De son côté, l’Aragonais ne montra pas moins de prudence. Après s’être avancé jusqu’au pont d’Almenara, à deux lieues environ de Murviedro, il fit halte sans vouloir passer le Rio-Canales qui le séparait des avant-postes castillans. De part et d’autre on se défiait, mais chacun était déterminé à ne pas abandonner la position avantageuse qu’il avait choisie. Plusieurs jours se passèrent de la sorte. L’abbé de Fécamp, à qui le cardinal Gui de Boulogne en quittant l’Espagne avait laissé les pouvoirs du saint-siège, profita de l’inaction des deux armées pour parlementer avec leurs chefs. D’abord s’adressant à l’infant Louis de Navarre, comme désintéressé dans la querelle, il obtint qu’il s’abouchât avec le roi d’Aragon ; puis il détermina ce dernier à faire porter à don Pèdre des propositions d’accommodement. Le comte de Denia fut chargé d’un premier message, et bientôt après Bernal de Cabrera eut plusieurs entrevues avec le roi de Castille dans le château de Murviedro. On se rappelle que, l’année précédente, il avait été question de cimenter la paix par le mariage de don Pèdre avec une princesse aragonaise ; ce projet fut repris et discuté plus sérieusement peut-être que la première fois. Les avantages obtenus par les armes castillannes dans les deux dernières campagnes, l’occupation d’un grand nombre de villes du royaume de Valence, obligeaient le roi d’Aragon à consentir à une cession de territoire. Ses envoyés ne cherchèrent qu’à en dissimuler l’humiliation. Maintenant ils proposaient que les villes de Tarazona et de Calatayud, déjà au pouvoir des Castillans, fussent considérées comme la dot de l’infante Jeanne, qui devait épouser don Pèdre. Alicante, Orihuela et quelques châteaux, ainsi qu’une fraction du territoire de Valence contiguë au royaume de Murcie, devaient pareillement être réunis à la Castille. En retour, on demandait que don Pèdre rendît Teruel, Segorbe et ses autres conquêtes récentes dans le royaume de Valence ; et, par une nouvelle fiction diplomatique, cette restitution devait être la dot de l’infante Isabelle, troisième fille de don Pèdre, dont on demandait la main pour le duc de Gerone, fils aîné du roi d’Aragon et son héritier présomptif[1]. Telles furent les propositions soumises à don Pèdre, qui prouvaient

  1. Ayala, p. 372. — Zurita, t. II, p. 320. — Selon Ayala, c’est l’infante Beatriz, fille aînée de don Pèdre, qui devait se marier avec l’infant don Alonso, dernier fils de Pierre IV, et âgé alors d’un an seulement. C’est une erreur évidente.