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de pied, douze mille chevaux l’enveloppaient de toutes parts, et le parc d’artillerie, le plus considérable qu’on eût encore vu en Espagne, trente-six engins mis en batterie à la fois, faisaient pleuvoir sur la malheureuse ville une pluie de pierres et de traits. Pourtant les bourgeois de Calatayud se défendaient avec vigueur. Chaque jour ils faisaient des sorties meurtrières, et telle était leur audace, que le roi d’Aragon leur envoya commander de ne pas s’exposer ainsi inutilement. Calatayud, ainsi que la plupart des villes espagnoles, était divisé en deux factions ennemies depuis un temps immémorial ; mais, dans le danger commun, elles s’étaient réconciliées, et maintenant elles ne rivalisaient plus que de dévouement et de courage[1]. Cependant le nombre devait l’emporter. Les Castillans s’emparèrent du couvent des Frères Prêcheurs en dehors de la ville et s’y fortifièrent. De là, bientôt après, ils ouvrirent une large brèche au mur d’enceinte, et leurs machines foudroyèrent l’église de Saint-François, où les assiégés s’étaient retranchés après la destruction du rempart. Chaque pouce de terrain coûtait un combat ; mais les progrès des Castillans étaient continuels ; ils s’avançaient lentement, mais irrésistiblement, au milieu des ruines. Du dehors, les malheureux habitans de Calatayud ne recevaient que des nouvelles décourageantes. Le roi d’Aragon ; pris au dépourvu, n’avait ni troupes ni argent. Il était menacé de tous les côtés à la fois. Le roi de Navarre attaquait Sos[2] et Salvatierra[3]. Ses coureurs allaient piller et brûler jusqu’aux portes de Jaca. Iñigo Lopez de Orozco, avec une forte division castillanne, marchait sur Daroca, et le bruit courait qu’il allait être suivi de près par une armée auxiliaire, conduite par le roi de Portugal en personne[4]. En même temps, plusieurs seigneurs gascons, anciens ennemis de l’Aragon, voulant avoir leur part à la curée, se préparaient à passer les monts et à l’envahir du côté du nord. Tous les yeux se tournaient avec effroi vers Calatayud, et l’on suivait dans une douloureuse anxiété les péripéties de ce siège mémorable. À cette époque, c’était un sujet d’étonnement pour la noblesse, que des bourgeois se battissent si bien, n’ayant point de riches-hommes, point de seigneurs de marque à leur tête. Le comte d’Osuna et quelques chevaliers des familles les plus illustres conçurent le projet hardi de passer au travers de l’armée castillanne et d’aller s’enfermer dans la place assiégée pour diriger les efforts des habitans. Ils partirent de Saragosse avec peu de suite pour n’être point remarqués ; mais, comme ils allaient franchir les lignes de l’ennemi,

  1. Zurita, t. II, p. 312.
  2. Ayala, p. 356.
  3. Don J. Yanguas. Ant. de Nav., t. III, p. 100.
  4. Zurita, t. II, p. 311. — Le roi de Portugal ne vint pas en personne, mais il envoya quelques troupes auxiliaires à son allié le roi de Castille.