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servait d’abri aux gardes-côtes pendant la nuit. il faut se représenter quelques hommes groupés autour d’une fosse ouverte, sous un soleil dévorant. Une tente, celle de lord Byron, est dressée près de là. Les ouvriers, matelots ou paysans, rassemblent les planches à demi pourries, le bois mort dont la plage est jonchée, et dressent le bûcher au centre duquel est placé un fourneau portatif. Sur ce bûcher, Byron et Trelawney, Leigh Hunt et un officier de la marine anglaise, le capitaine Shenley, jettent des branches de vigne, de l’encens, des bois aromatiques. On dirait des rites païens, et le sang des victimes égorgées manque seul à cette bizarre cérémonie. Bientôt le feu pétille, une fumée pénétrante monte vers le ciel, et l’ame même du poète mort, cette particule ignée, semble s’envoler, elle aussi, parmi les jets bleuâtres du bûcher flamboyant. Trelawney et Byron, spectateurs attentifs de cette scène si frappante, remarquèrent tous deux « l’extraordinaire beauté des flammes. »

On mit deux journées entières à brûler les deux cadavres, et celui de Shelley fut le dernier livré au feu. Ses cendres, immédiatement transportées à Rome, allèrent, suivies d’un petit nombre de résidens anglais, prendre place dans le cimetière dont nous avons parlé. Un enfant du poète y reposait déjà, et Shelley, dans l’avant-propos d’Adonaïs, s’était pour ainsi dire promis de revenir un jour à ce champ du repos, qu’il avait vu, pendant l’hiver, émaillé de violettes et de marguerites. — « On s’éprendrait presque de la mort, écrivait-il, en songeant qu’on peut être enseveli dans cette terre si douce à contempler ! » Lignes prophétiques où le poète, le poète devin de l’antiquité, se retrouve encore, n’est-il pas vrai ?

C’est une tâche facile que de caractériser, d’après son aspect général, la poésie de Shelley, car ses tendances sont nettes, ses origines connues, ses procédés uniformes, ses modèles hautement avoués. La Grèce avant tout, la grandeur imposante de la tragédie antique, la sérénité majestueuse de Platon et d’Homère ; la Bible ensuite, et sa splendeur orientale, ses images hardies, l’impétueux élan de ses versets inspirés ; l’ère italienne de Dante ; l’ère anglaise de Milton ; en Espagne, Calderon ; en Allemagne, Luther, Klopstock, Schiller ; chez nous, les sceptiques du XVIIIe siècle, non comme sceptiques, mais comme philanthropes éclairés, comme apôtres de la raison, comme ennemis courageux de la tyrannie sous toutes ses formes : telles furent les admirations de Shelley. Guidé par elles, et moins original que peut-être il ne l’eût voulu, il continua l’œuvre abandonnée par Wordsworth, Southey et Coleridge, auxquels il reprochait leur apostasie ; il combattit à côté de lord Byron, mais avec un enthousiasme plus sincère, une foi dans le progrès humain, une sympathie pour la race humaine, que n’a jamais connues ce dernier.

A vrai dire, tous les poèmes de Shelley, — si nombreux qu’ils soient,