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sulfureuses qui voilaient le ciel à celles que la mine ou le volcan exhalent après l’explosion des feux souterrains. Les vagues semblaient noircir sous l’haleine empestée du vent ; une pluie lourde tombait à flots ; la foudre grondait, et de temps en temps vomissait une cascade enflammée sur la mer soulevée et mugissante. Ce brusque désordre ne dura pas plus d’une heure. Au moment où il commençait, le capitaine Medwin nous raconte que, resté sur le pont de son bâtiment et contemplant les splendides horreurs dont il était entouré, il vit passer, sous le vent, une embarcation dont le gréement inusité, la voile latine, la forme à part, lui semblaient indiquer un de ces bateaux de plaisance (pleasure-boats) que les Anglais se donnent si volontiers sur toutes les mers du globe. Cette embarcation avait toutes ses voiles ouvertes au vent, qui ne les gonflait pas encore, mais dont une seule bouffée emporta dans la brume le léger navire[1].

Trelawney, qui, pendant toute la durée de la première bourrasque s’était cru certain de voir revenir ses amis, se retira dès que le calme fut rétabli. La nuit fut troublée par plusieurs autres coups de vent. La foudre tomba sur un des navires en rade à Livourne, et, justement alarmés, les amis de Shelley écrivirent à Lerici. La réponse de mistress Shelley augmenta leurs craintes. On n’avait aucunes nouvelles des voyageurs. Plusieurs courriers, expédiés aussitôt sur tous les points du littoral où la mer pouvait les avoir contraints à chercher un refuge, revinrent sans renseignemens favorables. Dans le même temps, Trelawney, mieux guidé par ses souvenirs, était parti pour Viareggio. Là, de tristes présages l’attendaient. La mer y avait poussé plusieurs débris qui attestaient un naufrage, deux barils d’eau, un petit canot, etc. ; à la vérité, tout cela pouvait avoir été jeté par-dessus bord pour alléger la chaloupe dans un moment d’extrême péril. La chaloupe même, c’était l’opinion générale, avait dû, cherchant à regagner Livourne, être chassée du côté de l’île d’Elbe ou de la Corse. Huit jours entiers se passèrent encore dans une cruelle incertitude. Enfin les pêcheurs de Viareggio découvrirent, échoués de nuit sur la plage, deux cadavres défigurés. On ne reconnut Shelley qu’à ses vêtemens, et, circonstance touchante, au titre

  1. Adonaïs. – L’élégie à laquelle nous faisons ici allusion est une des plus belles inspirations de Shelley.