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Le chevalier, je le répète, était fort instruit ; il avait présent à la pensée, sans doute, ce mot d’Hérodote : « Il y a long-temps que les hommes ont trouvé ce qui est bien, et ce qu’il importe de savoir. » Il avait assez d’étendue et de sagacité d’esprit pour deviner, chez ces hommes de l’antiquité, ceux qui réalisaient en eux quelque chose de l’idée subtile qu’il se faisait. En un sens, Pétrone et César lui paraissaient avec raison de vrais honnêtes gens, et ce Ménon le Thésalien, dont parle Xénophon dans sa Retraite, personnage qui avait tous les vices, surtout la fausseté, qui croyait exactement que la parole a été donnée pour déguiser sa pensée, même entre amis, et qui regardait tout net les gens vrais comme des êtres sans éducation[1], ce Ménon si avancé en mœurs lut eût paru un faux honnête homme et un roué de ce temps-là. Mais le travers était de vouloir suivre dans le détail ce qui ne se laissait entrevoir que dans un aperçu rapide Le chevalier, en vieillissant et en devenant plus vertueux, faisait subir à son idée d’honnête homme une métamorphose graduelle qui le menait jusqu’à y comprendre tous les sages, Platon, Pythagore lui-même. A force d’y voir je ne sais quelle puissance de charmer et d’adoucir les cœurs farouches, peu s’en faut qu’il n’y ait fait entrer Orphée. Il était tombé évidemment dans la confusion.

Il n’y était pas encore, quand il parlait de Pétrone et de César, et, quoiqu’il y ait dans le ton dont il disserte de ces fameux Romain un faux air de Clélie, il s’y trouve une connaissance incontestable du fond des choses et du caractère des personnages. Sur César, il sait très bien accueillir par un éclat de rire un des faiseurs de romans d’alors qui, pour se venger de ce que le conquérant avait appelé les Gaulois des barbares, n’avait pas craint de décider que César était peu cavalier. Pour lui, il le juge assez au vrai, surtout son style dont il marque ainsi la physionomie :

« On sent son mérite et sa grandeur aux plus petites choses qu’il dit, non pas à parler pompeusement, au contraire sa manière est simple et sans parure, mais à je ne sais quoi de pur et de noble qui vient de la bonne nourriture[2] et de la hauteur du génie. Ces maîtres du monde, qui sont comme au-dessus de la fortune, ne regardent qu’indifféremment la plupart des choses que nous admirons, et parce qu’ils en sont peu touchés, ils n’en parlent que négligemment. Dans un endroit où il raconte qu’il y eut deux ou trois de ses légions qui furent quelque temps en désordre, combattant contre celles de Pompée : On croit, dit-il, que c’étoit fait de César, si Pompée eût su vaincre. Cette victoire eût décidé de l’empire romain. Et voilà bien peu de mots, et bien simples pour une si

  1. Τώιν άπαιδεύτων : la noble chose que les Grecs appelaient παιδεία, et dont ils étaient si fiers, est bien en effet ce qui constituaient chez eux l’honnête homme, pour parler le style de notre sujet.
  2. Nourriture pour éducation.