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pompeuse. La langue espagnole a la splendeur du coloris, l’opulence de la pourpre, l’éclat fastueux plutôt que la précision et la netteté. Cette pompe, cette passion de l’hyperbole, se retrouvent, il est vrai, chez beaucoup de poètes et même d’historiens ; mais ce serait une erreur d’y voir le caractère exclusif du génie espagnol : plus d’un exemple prouve qu’il possède justement ces qualités qu’on lui dénie, l’exactitude, la force de concentration, une simplicité tour à tour mâle ou facile, une certaine sobriété qui s’allie au besoin avec la richesse. Il y a des prosateurs anciens et trop peu connus, tels que Perez de Oliva, l’auteur d’un Dialogue sur la dignité de l’homme, dont les pages ne seraient point indignes d’être placées à côté de celles de Bossuet pour la grandeur naturelle et sévère. L’Espagne a un historien qui atteint parfois à la concision de Tacite : c’est Melo, le narrateur des guerres et des soulèvemens de la Catalogne. Dans un autre genre, cette littérature picaresque que nous citions n’est-elle pas tout entière un modèle d’imagination sans emphase, de souple légèreté, de vivacité prompte et précise, de style dégagé de toute enflure ? Quelle langue plus ferme, plus nette dans son ampleur et sa poésie, que celle de Cervantès, à laquelle il serait difficile de rien retrancher ? Larra parle cette langue, non par un effort d’imitation servile, mais naturellement et en l’appropriant à l’époque où il vit, en essayant de faire ce que ferait l’auteur de Don Quichotte, s’il était condamné à écrire sur la responsabilité ministérielle, l’élection directe ou les Jeux de bourse. Et qu’on ne dise pas, ainsi qu’il le remarque dans un essai sur les destinées littéraires de l’Espagne, que Cervantès ne descendrait pas à de semblables petitesses, car ces petitesses composent aujourd’hui notre existence, et le signe le plus incontestable du génie est d’assortir sa pensée comme son expression à son siècle. Larra fait ainsi en passant la théorie du progrès des langues.

Certes, s’il est un spectacle dramatique, c’est celui que peut offrir la défaite d’une raison si forte qui sait se parer de toutes les graces de l’originalité littéraire. Telle est pourtant l’histoire de Larra. A travers tant d’éclairs de bon sens, de poésie, d’ironie féconde, de vérité, il n’est pas difficile d’apercevoir la passion meurtrière qui envahit peu à peu son ame, mine insensiblement son génie et se décèle par les ébranlemens fébriles qu’elle imprime à ses facultés. C’est le scepticisme, — un scepticisme d’abord déguisé sous l’enjouement, sous l’humeur facile, mais qui, au lieu de s’épuiser en se satisfaisant comme un caprice de jeunesse, persiste, s’enracine, s’étend, finit par occuper toutes les avenues de son esprit et de son cœur, et projette son ombre sur tout ce qui l’entoure. Larra, on le voit trop au fond, n’eut jamais foi à rien. Toutes les vérités de ce monde, à son avis, tiendraient sur un papier à cigarette. C’est de lui-même qu’il dit : « Je sais de bonne source qu’il ne