attire par un magnétisme secret, et qui, sous une apparence dégagée et légère, se plaît à pénétrer jusqu’aux plus obscurs détours du monde moral, faisant jouer sous ses pas mille reflets imprévus d’observation, donnant à tout ce qu’elle invente, à tout ce qu’elle reproduit, la couleur du caprice, créant par la puissance de la fantaisie une image mobile de la réalité plus mobile encore. Qu’on suive dans son voyage cette pensée vagabonde. On la voit un instant gaie, souriante, moqueuse ; la raillerie semble son domaine, tant elle s’y trouve à l’aise ! Ne croyez qu’à demi cependant à cette gaieté ; elle n’a qu’un éclair ; le rire cache les larmes ; la mélancolie suit l’élan joyeux. C’est que l’esprit ne conserve pas sa sérénité lorsqu’il se laisse aller à contempler les choses sous ce voile factice qui les couvre le plus souvent et qui n’en impose qu’aux yeux vulgaires. Celui-là ne peut se livrer à un perpétuel sourire qui prend pour cruel passe-temps de remuer toutes les fibres humaines, ou du moins son sourire a un caractère particulier. L’ironie se revêt alors d’une teinte sérieuse ou attendrie, et que faut-il pour déterminer ce brusque changement ? Peu de chose en vérité, un de ces riens imperceptibles pour la gravité prétentieuse. Un oiseau enfermé dans une cage amènera des pages frémissantes sur l’esclavage et la liberté ; un incident trivial de la rue fera éclater le sentiment brûlant des douleurs sociales ; le nuage qui passe provoquera un triste et doux appel aux plus intimes, aux plus touchans souvenirs ; le cerceau d’un enfant qui joue sera un suffisant prétexte pour soulever le problème de la destinée ; on croira entendre un philosophe éloquent ou un poète lyrique inspiré. Attendez un moment encore : ce capricieux génie, qui vient de vous soumettre au joug d’une invincible émotion, a déjà retrouvé son ironie facile, son inépuisable enjouement, sa force supérieure de sarcasme, Cette rapidité d’impressions, ces contrastes toujours nouveaux sont le secret de l’humoriste, qui ne fait que suivre son propre penchant ; doué du merveilleux pouvoir d’embrasser les deux côtés de la vie, de se partager entre la gaieté et les larmes, il va d’un objet à l’autre, plus logique qu’on ne pourrait le penser dans sa course fantasque, et répandant sans lassitude la fécondité variée de son observation.
Sous ce drapeau de la fantaisie humoristique, qui est la forme la plus animée et la plus vivante de la satire, vient se ranger toute une famille d’écrivains, — les Swift, les Sterne, les Quevedo, les Gozzi, — dont le caractère tranche singulièrement avec celui de cette autre race de satiriques plus sobres, — les Boileau, les Pope, les Argensola, poètes laborieux et prudens, qui s’occupent surtout de régler leur marche, se refusent aux accidens de la pensée, aux entraînemens imprévus de l’inspiration, aux hasards de l’image, et pour lesquels, selon l’expression de l’un d’eux, « la lime est le plus noble instrument. » Dans les œuvres de ceux-ci brille la beauté extérieure, le génie de l’ordre ; les œuvres