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Et le seul véritable Mome,
Dont les dieux n’ont qu’un vain fantôme,
A si bien fait avec Cloton
Que la Parque au gosier glouton
A permis que sur le théâtre
Tout Paris encor l’idolâtre.

Peu de mois après cette résurrection, le 4 juin 1666, Molière donnait au public le Misanthrope. Nous n’avons pas, Dieu merci, à nous occuper de tous les commentaires dont cette pièce a été le sujet. C’est le sort des chefs-d’œuvre de susciter parfois un blâme paradoxal, mais surtout de subir sans cesse le verbiage de l’enthousiasme démonstratif. Ici nous cherchons seulement à rétablir la vérité de l’histoire. On a déjà fort bien, mais fort tard, réfuté l’assertion de Grimarest, qui découvrit, en 1705, que le Misanthrope avait été d’abord froidement accueilli du public, lorsque deux contemporains, deux rivaux, Donneau de Visé et Subligny, avaient constaté, dès le lendemain, le succès de l’œuvre nouvelle, succès moins vif sans doute, moins bruyant, moins général, que ne l’eût été dans tous les temps celui d’une farce excellente, mais tel enfin que l’un (Visé) en faisait le texte d’une longue lettre adressée à la cour, que l’autre (Subligny) faisait dire, le 17 juin, à sa « Muse dauphine : »

Une chose de fort grand cours
Et de beauté très singulière
Est une pièce de Molière.
Toute la cour en dit du bien,
Après son Misanthrope, il ne faut plus voir rien :
C’est un chef-d’œuvre inimitable.


Il est un autre point sur lequel on s’égare depuis quelque temps avec une singulière liberté. C’est l’application, aux personnages nommés dans l’histoire, de tous les traits que l’on rencontre dans les livres. Cette manie, non pas de trouver, mais de fournir des « clés, » a toujours fait le désespoir des écrivains moraux ou satiriques, même de leur vivant, et quand on savait où rencontrer les gens dont il était question. Jugez ce qu’il en doit être aujourd’hui de ces désignations faites au hasard, sans nulle connaissance du monde où l’on prétend s’introduire, et pour le seul plaisir d’écrire des noms illustres dans un commentaire ! Que l’on ait signalé de la ressemblance entre Alceste et le duc de Montausier, cela est incontestable et contemporain ; mais quel homme de cette époque se serait avisé de reconnaître dans Oronte, dans ce faquin de qualité tout au plus, qui prétend que « le roi en use honnêtement avec lui, » le duc de Saint-Aignan, mauvais poète sans doute, comme tout grand seigneur de l’Académie française, homme d’esprit pourtant et du plus exquis savoir-vivre, le Mécène d’alors, respecté de tous, tendrement aimé du roi, comblé de ses plus hautes faveurs, cité partout pour « le modèle d’un parfait courtisan. » Dans ce temps aussi, qui aurait seulement pensé que Célimène pût être la duchesse de Longueville, la sœur de monsieur le prince, vouée depuis treize ans aux pratiques de la religion la plus austère ? En songeant que de pareilles sottises ont été dites et sont répétées, on se sent prêt à écouter plus patiemment un dernier commentateur