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Bourgogne (au Palais-Royal) l’Amour Malade (l’Amour Médecin) ; tout Paris y va en foule pour voir représenter les médecins de la cour, et principalement Esprit et Guenaut, avec des masques faits tout exprès ; on y a ajouté des Fougerais. » Guy-Patin se trompe évidemment sur le nombre des médecins joués comme sur le titre de la pièce et le théâtre où on la donne, mais il ne saurait se tromper sur la qualité des gens qu’il désigne. Les « cinq premiers médecins » sont en effet cinq personnes de cette profession ayant chacun le titre de « premier médecin » dans les maisons des personnes royales, et il n’y en avait réellement ni plus ni moins, savoir : pour le roi, Valet ; pour la reine-mère, Seguin ; pour la reine, Guenaut ; pour Monsieur, Esprit, et pour Madame, Yvelin. Des Fougerais (Desfonandrès) n’étant pas de ce nombre et figurant dans la pièce, il s’ensuit qu’un des cinq a été épargné, puisqu’il ne s’y trouve en effet que cinq médecins ridicules. Après cela, que les applications soient distribuées bien ou mal, il n’en reste pas moins certain qu’elles se firent dès-lors, qu’elles portaient sur des hommes parfaitement reconnaissables, qui avaient charge dans la famille royale et réputation dans la ville ; que Molière n’eut pas à les désavouer et qu’il ne fut nullement inquiété pour y avoir donné lieu.

On a cherché un motif puéril à cette violente déclaration de guerre contre la médecine et les médecins ; nous croyons qu’on serait plus près de la vérité en lui donnant une cause affligeante. Cet homme, qui se moquait si bien des prescriptions et des remèdes, se sentait malade. Avec une dose ordinaire de faiblesse, il aurait demandé à tous les traitemens une guérison peut-être impossible. Ferme et emporté comme il était, il aima mieux nier d’une manière absolue le pouvoir de la science, lui fermer tout accès auprès de lui, et employer ce qui lui restait de santé à remplir sa vie selon son goût et sa passion. Il y avait donc dans son fait, à l’égard de la médecine, quelque chose de pareil à la révolte du pécheur incorrigible contre le ciel, une vraie bravade d’incrédulité ; mais il la soutint avec tant de constance et de bonne humeur, il se livra lui-même si gaiement pour enjeu à cette folle gageure, qu’on ne peut se défendre d’une admiration compatissante en voyant une raillerie, qui naît du désespoir, ne s’arrêter que par la mort. Son mal était à la poitrine, et se révélait par une toux fréquente, dont il savait tirer, pour ses rôles, des effets plaisans. « La toux de Molière » est demeurée long-temps, comme la claudication de Béjart, une tradition du théâtre. Elle annonçait son entrée en scène, elle entrecoupait son débit d’une façon toute divertissante. Il se fait dire lui-même par Frosine, dans l’Avare, que sa fluxion ne lui sied pas mal, et qu’il a bonne grace à tousser. Dans une pièce hostile, dont nous parlerons plus tard, un des personnages s’écrie en l’entendant :

« Oui, c’est lui ; je le viens de connaître à sa toux.


Outre cette incommodité habituelle, il lui survenait par intervalles des accès de maladie aigüe qui le tenaient au lit et mettaient ses jours en danger. Le premier dont nous ayons pu trouver la trace est de bien peu de temps postérieur à l’Amour Médecin. Nous le tenons de Charles Robinet, qui avait pris la succession de Loret, mort en 1665. Il écrit le 21 février 1666 :

Je vous dirai, pour autre avis,
Que Molière, le dieu du ris