Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/199

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa pupille. Son exhortation leur parut, et non sans cause, parodier insolemment les formes d’un sermon ; le vers même qui la termine reproduisait presque textuellement la bénédiction ordinaire du prédicateur. « Les chaudières bouillantes » dont il menace Agnès, la « blancheur du lis, » qu’il promet à « son ame » en récompense d’une bonne conduite, la « noirceur du charbon, » dont il lui fait peur si elle agit mal, et enfin ces Maximes du Mariage ou Devoirs de la Femme mariée avec son exercice,journalier, dont il veut qu’elle lise dix commandemens, ressemblaient trop en effet au langage le moins éclairé, et par conséquent le plus usité, du catéchisme ou du confessionnal, pour ne point paraître aux dévots un attentat contre les choses saintes. Ils n’allaient pourtant pas encore jusqu’à le dire publiquement, car la dispute, sur ce terrain, était périlleuse ; mais ils s’en prenaient à d’autres licences qui offensaient seulement les bonnes mœurs. Le prince de Conti, l’ancien protecteur de la troupe de Molière en Languedoc, devenu fervent janséniste et théologien, écrivait ce qui suit dans son Traité de la comédie et des spectacles : « Il faut avouer de bonne foi que la comédie moderne est exempte d’idolâtrie et de superstition, mais il faut qu’on convienne aussi qu’elle n’est pas exempte d’impureté ; qu’au contraire cette honnêteté apparente, qui avait été le prétexte des approbations mal fondées qu’on lui donnait, commence présentement à céder à une immodestie ouverte et sans ménagement, et qu’il n’y a rien, par exemple, de plus scandaleux que la cinquième scène du second acte de l’École des Femmes, qui est une des plus nouvelles comédies. »

Molière n’en fit pas moins imprimer sa pièce, qui fut publiée le 17 mars 1663, avec une épître dédicatoire à Madame. La préface qui l’accompagnait parlait assez légèrement des censures dont elle avait été l’objet et d’une dissertation en dialogue par laquelle il pourrait bien leur répondre. « Je ne sais, ajoutait-il, ce qui en sera. » Nous savons, nous, ce qui en fut. La Critique de l’École des Femmes fut jouée sur le théâtre du Palais-Royal le 1er juin 1663. On peut y voir avec quelle précaution Molière toucha au plus grave reproche qu’on lui avait adressé. « Le sermon et les maximes, dit Lysidas, ne sont-elles pas des choses ridicules et qui choquent même le respect que l’on doit à nos mystères ? » - « Pour le discours moral que vous appelez un sermon, répond l’apologiste Dorante, il est certain que de vrais dévots qui l’ont ouï n’ont pas trouvé qu’il choquât ce que vous dites, et sans doute que ces paroles d’enfer et de chaudières bouillantes sont assez justifiées par l’extravagance d’Arnolphe et par l’innocence de celle à qui il parle. » Il fit mieux encore sur ce point que de raisonner. Il dédia la Critique de l’École des Femmes à la reine-mère, qui représentait alors dans la cour l’intérêt de la religion, et la pièce fut imprimée, sous la protection de ce nom alors vénéré, le 7 août 1663. Vers le même temps, 5 juillet, la duchesse de Richelieu, recevant à Conflans la reine régnante et Madame, ne trouvait pas de meilleur divertissement à leur donner qu’une représentation de la Critique. C’était le temps enfin où le roi voulait distribuer des pensions aux plus illustres écrivains de son royaume, et Molière y fut porté pour mille livres avec cette qualification : « excellent poète comique. » Cela valait bien le titre que lui attribuait sa femme, au baptême d’un enfant dont elle était marraine (23 juin 1663), en se faisant inscrire « femme de Jean-Baptiste Poquelin, écuyer, sieur de Molière. »