Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/172

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour le Clovis et le Philippe-Auguste de M. Viennet, qui allait lui répondre. Tout ceci n’est pas, comme on le pense, le meilleur du discours de l’honorable récipiendaire.

Au surplus, que M. Empis ait rappelé les titres, quelque peu effacés de nos mémoires, des poèmes épiques de l’auteur d’Arbogaste, c’est un détail qui fait honneur à sa curiosité bibliographique ; mais là n’est point l’intérêt le plus vif de la dernière séance : c’est surtout dans le discours de M. Viennet qu’il faut le chercher. Il est bien convenu aujourd’hui que M. Viennet est un homme d’esprit. Ridicule il y a dix ans, il s’est trouvé, un beau matin, pris au sérieux par ceux même qui le raillaient, et qui peut-être n’ont fait que continuer, sous cette nouvelle forme, leur ironie et leur malice. Le goût public, celui du moins que dirigent les journaux, a de ces reviremens inopinés ; il réhabilite sur parole ceux dont il se moquait par ouï-dire. Nous tenons donc M. Viennet pour un esprit mordant, plein d’une verve honnête, ingénieuse, et ce n’est pas nous qui le contredirons lorsqu’il s’égaie aux dépens de notre jeunesse qui craint de passer pour jeune, et lorsqu’il trouve de sévères paroles contre ceux qui gaspillent ou prostituent leur talent. Seulement M. Viennet a le malheur d’être convaincu qu’il continue à lui tout seul Corneille, Voltaire et La Fontaine, qui pourtant n’était que bonhomme. Aussi, en faisant l’éloge de M. Empis, le félicite-t-il d’avoir su défendre, dans un de ses plus chauds représentans, cette cause de la littérature impériale qui est maintenant, hélas ! celle des opprimés. M. Viennet a relevé son drapeau avec un accent de martyr qui nous a fait craindre un moment que MM. Hugo ou Sainte-Beuve, arrivés à la dictature, n’eussent laissé percer le projet de le déporter à Sinnamary. Que l’honorable académicien se rassure ; il peut sans crainte se livrer à cette glorification tardive et ramener de l’île d’Elbe, quand l’envie lui en prend, cette pauvre littérature de l’empire. Mais Voltaire ! qu’avait-il à démêler avec ces essais de réhabilitation, avec ces colères rétroactives ? Quelle que soit l’opinion de M. Viennet sur les métempsycoses littéraires, l’auteur de Clovis, en prenant la défense de l’auteur de Zadig, est-il bien sûr d’avoir plaidé pro dorno suâ ? Nous ne contestons ni l’ingénieux atticisme de l’Épître aux Mules, ni la verve dramatique de Michel Brémond, ni le piquant à-propos des Fables ; mais enfin tout cet esprit-là est-il bien le même que celui de Candide, et le patriarche de Ferney, s’il revenait au monde, n’aurait-il pas le droit de n’accepter de pareils héritiers que sous bénéfice d’inventaire ? M. Viennet se sera trop aisément persuadé que, pour être fils de Voltaire, il suffisait de ne pas être fils de croisé. De pareilles descendances sont malheureusement difficiles à établir, et il pourrait bien arriver à M. Viennet ce qui arriva à Rivarol lors de l’abolition des titres de noblesse. Il affectait de se lamenter en répétant sans cesse nos privilèges, nos titres. — Voilà un pluriel que je trouve bien singulier, lui dit le marquis de Créquy. — Les titres de noblesse littéraires ont aussi leurs Rivarols.

Cette séance a donc offert d’assez singulières anomalies. M. Empis, ayant à proclamer les mérites académiques de feu M. de Jouy, n’a rien trouvé de mieux que de raconter sa vie, et M. Viennet, voulant réhabiliter en sa personne la littérature de l’empire, l’a associée à la gloire de Voltaire, qui n’a rien à gagner à une semblable alliance. Ajoutons bien vite que toutes ces petites malices ont été au demeurant fort inoffensives, et que personne n’en a gardé rancune. Une