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M. Casimir Périer répondait brusquement à un député ministériel qui refusait, dans une occasion importante, de voter en sa faveur, se fondant sur ce qu’il n’approuvait pas la mesure proposée : « Eh ! le beau mérite, monsieur, de voter pour moi lorsque vous m’approuvez ! Mes ennemis cessent-ils de me combattre quand j’ai raison ? — Soutenez-moi donc quand j’ai tort. »

Ce joug des partis, je m’apprête à le subir encore dans une juste mesure et selon les circonstances. Il n’est pourtant pas de nature à m’empêcher de parcourir avec une entière liberté d’esprit, avant la session, quelques points généraux et actuels de la politique.

A mes yeux, la situation politique est plus grave et plus difficile qu’elle ne l’a été depuis long-temps. Du calme le plus parfait, le monde semble subitement passer à de grandes agitations.

D’où viennent ces fièvres qui saisissent les peuples à certaines époques ? Accusent-elles un besoin réel et moral, ou sont-elles causées par une surexcitation physique et passagère ? — Je ne me charge pas de l’expliquer. Mais, en vérité, quand on voit qu’à aucune autre époque connue de l’histoire, il n’y a eu dans le monde moins de barbarie, moins de préjugés, plus de bon sens, plus de science, plus de bien-être ; quand toutes les questions philosophiques sont épuisées ; lorsque tout le monde a pu apprécier les bienfaits d’une paix de trente années ; quand chacun a pu juger que l’ordre est le seul chemin qui conduise à une liberté durable, on se demande si les sociétés sacrifieront tous ces avantages dans un moment de délire ; on se demande si elles resteront sourdes à la voix de la raison et de leur intérêt.

Aujourd’hui, l’absolutisme et le radicalisme sont aux prises en Europe. Le communisme mine sourdement la base des sociétés et des gouvernemens. Des concessions modérées, des réformes intelligentes, une étude consciencieuse des questions financières et sociales, le zèle pieux des classes riches en faveur des classes pauvres, en même temps qu’une résistance courageuse aux factions, empêcheront-ils les maux qui nous menacent ? — Voilà la véritable question.

Le rôle du gouvernement français et du parti qui le soutient pourra, dans ces circonstances, devenir fort considérable. Leur sagesse, leur fermeté, leur probité, peuvent dissiper ces orages : leur faiblesse ou leurs fautes peuvent les faire éclater sur nos têtes.

A l’extérieur, je ne me le dissimule pas, la conduite du gouvernement est pleine d’écueils.

Les mariages espagnols nous ont affaiblis en Europe, en ne nous permettant plus une politique commune avec l’Angleterre.

Avec l’alliance anglaise sincèrement pratiquée, nous pouvions tout dans le monde. Avec ce qu’on appelle l’entente cordiale, nous avons dû renoncer à toute politique active ; mais nous opposions encore une