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phalanges jusqu’au poignet, la forme est tellement simplifiée, qu’elle semble à peine modelée. Le visage est d’une pureté dont on chercherait vainement le modèle sur la terre ; la sérénité du regard n’a jamais été surpassée ; la bouche sourit avec une admirable douceur, mais la forme des lèvres n’est pas précisément ce qu’elle devrait être ; ces lèvres si fines et si fraîches semblent condamnées à l’immobilité. Cependant, malgré ces défauts, qui appartiennent à l’école du Pérugin, le Mariage de la Vierge est empreint d’un charme singulier ; il est impossible de le contempler sans émotion. Le groupe de jeunes filles qui forment le cortége de la Vierge est si gracieux, si élégant, si pur, que le regard ne peut s’en détacher. Saint Joseph et les jeunes gens qui l’entourent ne sont pas conçus avec moins de bonheur. Le temple, qui sert de fond au tableau, est dessiné avec une précision qui ne laisse rien à désirer. Tous les détails en sont traités avec soin, et révèlent chez l’auteur l’intelligence parfaite de l’architecture, mais ils sont exécutés de façon à ne pas distraire l’attention : ils n’ont pas assez d’importance pour faire tort aux personnages : c’est une preuve de savoir donnée sans ostentation.

A Florence, le talent de Raphaël se transforma. Cette métamorphose ne s’opéra pas brusquement ; pour l’accomplir, l’élève du Pérugin eut besoin d’une rare persévérance, mais les œuvres de Michel-Ange, de Léonard, de Masaccio, avaient dessillé ses yeux, et ne lui permettaient pas d’hésiter. La route qu’il avait suivie jusque-là n’était pas celle de la vérité ; à cet égard, il ne pouvait conserver aucun doute. S’enfermer dans les traditions d’une école dont il savait maintenant tous les défauts, c’était renoncer à la gloire et se condamner à ne jamais occuper que le second rang. Raphaël, qui se sentait né pour les grandes choses, prit son parti avec courage. Applaudi, admiré, déjà célèbre, il résolut d’effacer de sa mémoire tous les préceptes qu’il avait acceptés comme vrais, qu’il avait pratiqués avec soumission ; il se remit à l’étude sans tenir aucun compte de ce qu’il avait fait. Sévère pour lui-même, il ne se laissa pas détourner de cette tâche difficile par les éloges donnés à ses ouvrages. Il comprenait la nécessité de répudier sans retour le style de ses premières compositions. Pour mener à bonne fin une pareille entreprise, il fallait une rare énergie ; Raphaël mesura, sans s’effrayer, la route laborieuse qu’il avait à parcourir, et accomplit en quatre ans ce qu’il avait résolu. Il avait vingt et un ans lorsqu’il reconnut qu’il s’était trompé, à vingt-cinq ans il avait réparé son erreur.

Pour apprécier dignement la valeur de cette transformation, il faut comparer avec le Mariage de la Vierge le Christ porté au tombeau, qui se voit aujourd’hui à Rome dans la galerie du prince Borghese. Entre ces deux ouvrages, la différence est si profonde, qu’ils ne semblent pas appartenir au même auteur. Le style du Christ au tombeau n’a rien à